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L’école du dehors à l’épreuve des inégalités

L’école du dehors à l’épreuve des inégalités

Une analyse de Corentin Crutzen, juin 2025

Portée par un idéal de reconnection à la nature, l’école du dehors séduit de nombreux acteurs de l’éducation à l’environnement. Mais derrière l’image d’un apprentissage au contact du réel, cette analyse questionne les angles morts de la démarche. Quelles exclusions, quelles normes implicites sont à l’œuvre ? Et comment construire une éducation à l’environnement vraiment populaire, à hauteur d’enfants et ancrée non seulement dans la nature, mais aussi dans les réalités sociales et culturelles de chacun·e ?

Dans une analyse précédente (1), nous proposions de repenser l'éducation relative à l'environnement comme une « alphabétisation écologique », dans l’esprit de Paulo Freire : une éducation qui ne se contente pas d’informer, mais qui donne aux individus les moyens de lire le monde, d’en comprendre les logiques de domination et d’agir pour le transformer. Cette perspective critique reste plus que jamais nécessaire à l’heure où certaines pratiques éducatives, aussi bien intentionnées soient-elles, peuvent reproduire – voire renforcer – des inégalités sociales et culturelles.

L’école du dehors : un idéal qui interroge

L’exemple de l’école du dehors, aujourd’hui promue par de nombreuses associations et institutions éducatives, permet de creuser cette question. Cette pratique, qui vise à reconnecter les enfants à la nature en les sortant régulièrement de la classe pour apprendre dehors, séduit de plus en plus d’enseignant·es et autres pédagogues. Elle est souvent présentée comme bénéfique à tous points de vue (2) : développement moteur, bien-être psychologique, renforcement des apprentissages et des façons d’apprendre, émerveillement face au vivant, ancrage dans le territoire, développement des compétences d’avenir (esprit d’initiative, adaptabilité, autonomie, esprit critique, créativité, confiance, coopération…) (3), etc. Mais sortir dehors ne suffit pas. Derrière cet engouement se cachent parfois des implicites ou des inégalités invisibles. L’école du dehors, malgré ses apports, n’échappe pas à certains angles morts que nous souhaitons mettre en lumière ici. Notre propos ne vise pas à remettre en cause l’engagement des enseignant·es et animateur·ices, ni leurs  « bonnes pratiques » foisonnantes. Il propose une lecture critique, non culpabilisante, pour nourrir une réflexion collective sur les conditions d’un véritable accès de toutes et tous à l'éducation à l’environnement, dans ou en dehors du cadre scolaire.

L’école du dehors trouve ses racines dans les « Waldkindergartens » (jardins d'enfants en forêt, à des fins médico-pédagogiques) développés en Allemagne et au Danemark dans les années 1950. En Belgique, cette pratique a commencé à se développer au début des années 2010. Des initiatives locales ont émergé, souvent portées par des associations engagées dans l'éducation à l'environnement et des enseignant·es motivé·es. Ces acteurs et actrices se sont rassemblé·es dans le Collectif Tous Dehors, qui définit l'école du dehors comme « un ensemble diversifié de pratiques éducatives et pédagogiques, une immersion et des rencontres dans l’environnement naturel, social et vivant ». (4) L’école du dehors s’inspire aussi des courants pédagogiques de l’Éducation Nouvelle d’Ovide Decroly notamment et de la « classe promenade » de Célestin Freinet, des pédagogies dites « actives » qui sont généralement l’apanage d’écoles où sont scolarisés majoritairement des enfants plutôt issus de milieux favorisés.

L’école du dehors, comme le juge Olivier Mottint dans une analyse critique parue dans L’école démocratique (5), s’inscrirait souvent dans une vision implicite de l’environnement, marquée par des normes de classe moyenne ou bourgeoise. « Ce modèle éducatif, en apparence anodin, voire vertueux, s’adresse en réalité à des enfants d’enseignant·es, de psychologues ou de cadres dans l’associatif, dans une logique de reproduction sociale assumée ou inconsciente », écrit-il. Il ajoute que « les dispositifs sont souvent installés dans des écoles déjà favorisées, avec une forte proportion de parents acquis aux valeurs environnementales, disposant du capital économique, culturel et symbolique nécessaire à leur mise en œuvre ». Pour autant, il existe aussi des contre-exemples comme en témoigne le CRIE de Liège : « les écoles avec lesquelles nous collaborons ne sont pas toutes privilégiées, comme on pourrait le penser. Elles ont la possibilité de demander des subsides aux communes. Ce ne sont pas toujours les écoles ou les parents qui financent l’école du dehors ». (6)

Enfants de sortie en Ecole du dehors

Photo ©Céline Teret

Des ressources inégalement réparties

Néanmoins, l’école du dehors suppose un rapport apaisé, contemplatif et instrumental (7) à la nature, une capacité à s’adapter aux imprévus climatiques, une souplesse logistique – autant de ressources qui ne sont pas accessibles à toutes et tous. En pratique, cela signifie par exemple posséder des vêtements adaptés à toutes les saisons (veste imperméable, bottes, couches chaudes), avoir des personnes disponibles pour accompagner les sorties dans la durée, et disposer d’un accès facile à un espace naturel de qualité. Dans certaines écoles situées en centre urbain dense ou dans des quartiers populaires, un trajet vers un espace vert demande une organisation lourde : autorisations parentales et du Pouvoir Organisateur, encadrement suffisant, distance importante. On retrouve ce constat dans un article paru dans le magazine Symbioses (8) où une enseignante bruxelloise témoigne de son désarroi face à la réalité des inégalités d'accès à un environnement de qualité, autant de freins qui s’ajoutent à des réalités sociales souvent compliquées.

Les enfants issus de milieux populaires peuvent avoir une expérience de la nature marquée par le non-accès, voire la méfiance, la peur. Dans certains quartiers, notamment à Bruxelles (10), les espaces naturels sont peu nombreux ou perçus comme insécurisants. Le rapport à la nature n’est alors ni évident, ni universel, et l’école du dehors risque de projeter une norme implicite sans en interroger ni les fondements ni le vécu des participant·es. Cela souligne l’importance d’adapter les approches et les types d'interactions avec le « dehors » pour des enfants aux réalités et aux expériences si diverses. Ce que beaucoup d’enseignant·es et animateur·ices agissant avec ces publics ont heureusement bien compris.

Par ailleurs, les enfants issus de milieux populaires sont souvent en première ligne face aux pollutions et au manque d'espaces verts sécurisés (11), rendant d'autant plus cruciale une réflexion sur l'équité des approches éducatives par le dehors.

Entre malentendus pédagogiques et implicites sociaux

Une recherche collaborative menée par l’ASBL Hypothèse en 2023 (7) montre que, sans intentions pédagogiques claires, les activités en extérieur risquent d’être perçues comme des temps de défoulement ou de récréation, déconnectés des apprentissages scolaires. « Le côté pratique ou même ludique de certaines activités proposées devient un emballage perturbant, duquel il est difficile, pour certains élèves, de se détacher et d’y identifier les apprentissages scolaires en jeu. » (7) Ce processus de secondarisation, qui consiste à voir derrière l’activité concrète les apprentissages à en retirer, est souvent plus difficile à adopter pour celles et ceux dont la culture familiale est éloignée de la culture de l’école. Les enfants issus de milieux populaires, moins habitués aux implicites scolaires, risquent davantage les malentendus : ils et elles participent, courent, ramassent des feuilles, mais ne saisissent pas toujours les objectifs ou les liens avec les savoirs attendus. Ce flou pédagogique accroît les inégalités, notamment là où les enseignant·es ou animateurs et animatrices peuvent parfois manquer de formation spécifique. Il ne suffit pas de sortir dehors, il faut aussi construire le lien entre l’expérience vécue et les savoirs, à travers des activités structurées, des traces, du langage, de la réflexivité.

Sarah Wauquiez (9) insiste d’ailleurs sur l’importance de l’alternance entre le dehors et la classe pour formaliser les apprentissages et prendre du recul sur ce qui a été appris et comment on l’a appris lors des moments en extérieur.

Des pratiques de terrain plus inclusives

À côté de l’école du dehors, d’autres approches d’éducation par la nature cherchent à dépasser ces limites. Si elles partagent avec l’école du dehors le principe d’un apprentissage en extérieur, elles poursuivent des objectifs pédagogiques spécifiques : là où l’école du dehors vise notamment à intégrer les apprentissages scolaires dans un autre cadre, ces approches se centrent davantage sur le vécu des participant·es, leur développement personnel et psycho-social. Ces initiatives locales sont intéressantes et inspirantes pour faire évoluer les pratiques scolaires de l’école du dehors.

Ainsi, l’asbl Empreintes - CRIE de Namur développe depuis plusieurs années une véritable approche d’éducation populaire à l’environnement, en collaboration étroite avec des partenaires sociaux : CPAS, régies de quartier, sociétés de logements sociaux, services d’insertion (12). Ces collaborations ne se limitent pas à l’animation ponctuelle, mais reposent sur une co-construction des projets, en partant d'abord des savoirs des participant·es, de leurs attentes et en tenant compte des réalités spécifiques des publics : précarité économique, isolement, manque de mobilité, besoin de reconnaissance ou parfois rapport distancié à la nature. La démarche vise à faire émerger des contenus et des formats qui résonnent avec le quotidien des participant·es, sans imposer un cadre prédéfini et en faisant évoluer le projet avec eux.

Le CRIE de Saint-Hubert mène une démarche similaire, dans un contexte plus rural. Il collabore avec des services sociaux, en articulant ses animations nature avec des objectifs de remobilisation sociale, de reprise de confiance en soi, ou de reconstruction du lien au territoire (13). Ces deux Centres régionaux d'initiation à l’environnement (CRIE) témoignent de la possibilité d’une éducation à l’environnement plus inclusive, ancrée dans les réalités sociales et territoriales, et capable de faire place à une diversité de récits et de sensibilités.

L’association D’une Cime à l’Autre accompagne, elle, des jeunes en difficulté à travers des séjours immersifs en pleine nature. Inspirée de l’approche d’Accompagnement Psycho-social par la Nature et l’Aventure (APNA), elle propose des expériences de rupture — randonnée, bivouac, défis physiques — conçues pour favoriser la confiance en soi, la gestion des émotions et la reconstruction du lien social (14). Loin de simples escapades, ces immersions sont pensées comme des leviers thérapeutiques et éducatifs, où la nature devient un espace de transformation, en collaboration avec des institutions éducatives et sociales partenaires. C’est une forme d’éducation par la nature qui intègre la question des traumas, du rapport au corps et de l’estime de soi.

Ces démarches, bien que différentes dans leurs finalités et leurs conditions de mise en oeuvre, montrent toutes que l’éducation par la nature peut être pensée comme un levier d’émancipation – et pas seulement d’apprentissages – à condition de s’ancrer dans les vécus et les besoins réels des publics concernés. Elles offrent également des sources d’inspiration précieuses pour les acteur·ices de l’école du dehors, qui peuvent s’en nourrir et les intégrer dans leurs propres pratiques pour plus d’inclusion sociale.

Une écologie populaire en construction

D’autres formes d’écologie populaire se développent aussi ailleurs, parfois hors du champ classique de l’éducation à l’environnement (ErE). L’association française Front de mères (qui a une antenne bruxelloise (15)), fondée par la militante écologiste et antiraciste Fatima Ouassak, illustre comment l’écologie peut s’incarner dans des projets de quartier, conçus avec et pour les habitant·es. Ainsi, la campagne Pendant que Paris respire, Bagnolet s’étouffe a permis de visibiliser l’injustice environnementale vécue par les familles populaires en périphérie. L’objectif de cette campagne était de mobiliser habitant·es, familles, parents d’élèves et centres sociaux autour de questions environnementales liées à la pollution atmosphérique. D’autres initiatives, plus ludiques et culturelles, montrent qu’il est possible de faire de l’éducation environnementale un levier de mobilisation joyeuse et ancrée en milieu populaire. À Bagnolet, le projet Verdragon (16), première maison d’écologie populaire de France, créée par Alternatiba et Front de Mères, propose des activités nature à destination des enfants avec des références issues de leur univers quotidien (mangas, jeux, super-héros…). Il s’agit de leur permettre d’entrer dans l’écologie par leurs propres codes et de construire un imaginaire positif, valorisant, autour de la nature et de la justice. Dans le même sens, l’association Banlieues Climat (17), co-fondée par le jeune Féris Barkat, s’investit dans de nombreux quartiers populaires, partout en France, afin de démocratiser les connaissances sur l’environnement et la transition écologique, et de faire entendre les voix des habitant·es sur ces questions.

Ce travail d’ancrage local peut aussi viser l’école elle-même. Dans certains établissements, des mères de ces quartiers populaires se sont organisées pour obtenir une alternative végétarienne à la cantine (18), ou pour faire inscrire des préoccupations environnementales dans les projets éducatifs. Loin d’être périphérique, cet engagement parental traduit une volonté de reprendre la maîtrise des conditions de vie des enfants et de faire de l’école un lieu de transformation sociale.

Ces pratiques rejoignent les propositions de Fatima Ouassak dans Pour une écologie pirate. Elle y défend une écologie indisciplinée, ancrée dans les quartiers populaires, attentive aux colères, aux aspirations et aux récits de celles et ceux qu’on écoute peu quand on parle d’environnement. « L’écologie pirate, c’est une écologie à hauteur d’enfant », affirme-t-elle lorsque nous l’avions rencontrée (19). Cette formule ne relève pas d’une simplification de la sensibilisation écologique : elle incarne une vision profondément politique de l’écologie. Penser l’écologie à hauteur d’enfant, « c’est d’abord reconnaître que les enfants des quartiers populaires sont parmi les premiers exposés aux effets de la crise environnementale – pollution de l’air, manque d’accès à des espaces verts sécurisés, alimentation industrielle, logements dégradés », précise-t-elle. C’est aussi reconnaître que ces enfants ont des représentations, des imaginaires, des manières d’être au monde qui méritent d’être pris au sérieux. Une écologie à hauteur d’enfant implique donc de renverser le regard : de ne plus construire les politiques et les pédagogies « pour eux », mais « avec eux », à partir de leur réalité et de leurs besoins.

Dans cette perspective, l’école du dehors, telle qu’elle est souvent pratiquée aujourd’hui, peut sembler éloignée du vécu des enfants issus de milieux populaires. Pour ces derniers, les espaces naturels peuvent être perçus comme des territoires hostiles, inaccessibles, « pas pour eux », voire tout simplement dépourvus d’intérêt. L’écologie pirate, telle que la défend Fatima Ouassak, invite à rompre avec l’idée d’un rapport unique et normé à la nature. Elle encourage, au contraire, la reconnaissance d’une pluralité de liens au vivant, façonnés par les contextes sociaux, culturels et urbains. A partir du vécu concret des enfants, de leurs envies, de leurs peurs pour (re)construire et développer des liens plus vifs à l’environnement et faire du dehors un espace d’attention et de réappropriation du territoire, dont certains enfants se sentent parfois dépossédés. Ce serait une école du dehors qui allie dimensions environnementale et sociale, impliquant les associations du quartier, les aîné·es, les artistes, les jardiniers, les sans-abris, les collectifs militants… Une école du dehors qui pourrait casser les frontières entre l’institution scolaire et le monde. Une « école ouverte », comme le propose l’Aped (20), qui se mêle au monde, qui sort de ses murs, qui met les enfants en lien avec des projets collectifs, productifs, sociaux. Une école où apprendre, c’est comprendre le monde pour pouvoir le transformer.

Par ailleurs, réduire le « dehors » à la seule nature, « c’est oublier qu’il existe bien d’autres espaces vers lesquels il serait tout aussi indispensable d’emmener les jeunes », comme le souligne Olivier Mottint. Le tissu social, associatif, culturel, productif ou politique – maisons de quartier, lieux culturels, exploitations agricoles, usines, syndicats – reste encore souvent absent des sorties proposées dans le cadre de l’école du dehors, alors qu’il constitue un terrain d’apprentissage tout aussi fécond et participe à la richesse et à la compréhension de la complexité de notre environnement.

Vers une école du dehors populaire et contextuelle

On pourrait alors penser l’école du dehors comme une méthode ouverte, adaptable, qui commence par une écoute attentive des contextes sociaux et territoriaux. À l’image de ce que fait l’école La Sagesse Philomène, à Saint-Josse (21), commune bruxelloise parmi les plus denses et précarisées de Belgique. Une enseignante y a mis en place une école du dehors profondément ancrée dans son quartier. L’école étant dépourvue de jardin, elle emmène régulièrement ses élèves — y compris des primo-arrivant·es — au parc Josaphat, à vingt minutes de marche, avec tout le matériel nécessaire transporté dans un simple chariot. En chemin comme au parc, les enfants explorent leur environnement, croisent des habitant·es, découvrent des projets locaux et développent des compétences scolaires par le concret : lire un plan, compter des marrons, nommer les saisons, parler aux jardiniers communaux, comprendre le quartier et ses enjeux... Un exemple parmi d’autres qui démontre que l’école du dehors peut s’enraciner dans des quartiers populaires, dès lors qu’elle s’appuie sur les ressources locales et les vécus des enfants. Elle devient alors une éducation à l’environnement qui relie apprentissages, découverte du territoire et valorisation des liens humains.

Former à l’analyse critique et à l’inclusion

Enfin, il est essentiel de réfléchir à la manière dont on forme les enseignant·es et les éducateur·ices à l’éducation à l’environnement. Beaucoup sont très engagé·es, créatif·ves et attentif·ves à leurs publics, mais ne disposent pas toujours des outils pour interroger les rapports de pouvoir ou les normes sociales implicites qui traversent leurs pratiques.

Par « rapports de pouvoir », on entend les inégalités de position et d’influence qui existent entre adultes et enfants, entre les milieux sociaux, ou encore entre les savoirs légitimes (scolaires, scientifiques) et ceux qui sont souvent invisibilisés (savoirs populaires, vécus, expériences sensibles).

Les « normes sociales implicites », quant à elles, sont les règles ou attentes non dites que l’on suppose « allant de soi » : par exemple, que tout le monde aime marcher en forêt ou sait comment s’habiller pour une sortie. Des normes souvent invisibles pour celles et ceux qui les portent, mais excluantes pour d’autres.

Développer une formation critique d’éducation à l’environnement (ErE) permettrait donc aux professionnel·les de mieux comprendre ce qui, dans leurs démarches, peut exclure sans l’intention de le vouloir, et d’imaginer des pratiques plus ouvertes, inclusives et conscientes des réalités diverses des enfants.

Les pratiques d’école du dehors et d’éducation par la nature sont souvent socialement situées (cf. les propos d’Olivier Mottint), porteuses de valeurs écologiques dominantes, occultant ainsi les vécus des classes populaires parfois très éloignés des idéaux de reconnection à la nature prônés dans ces démarches. Une réflexion critique, qui mobiliserait des apports théoriques issus de la littérature et des retours d'expériences d’acteur·ices de terrain, pourrait aider à déconstruire les évidences, à ouvrir des possibles, à faire de l’ErE un véritable levier d’émancipation. Certains acteurs de l’ErE, comme l’asbl Ecotopie, réfléchissent déjà à ces questions ou les abordent de manière transversale dans leurs formations. Et ces questions d’inclusion sociale sont également au coeur d’une nouvelle Communauté de pratiques lancée par le Réseau IDée ce 19 juin 2025 (22).

Loin de rejeter l’école du dehors, nous invitons donc à en élargir les perspectives, à en discuter les présupposés, à en analyser les angles morts et à en explorer les adaptations possibles. Il ne s’agit pas de renoncer à faire classe dehors, mais d’y faire entrer la pluralité des vécus, des cultures, des besoins. D’accepter que l’écologie, pour être vivante, soit aussi traversée de tensions, de conflits, de récits concurrents. C’est à ce prix qu’elle pourra devenir une écologie véritablement populaire – et que l’éducation à l’environnement (re)trouvera sa vocation transformatrice.


Références : 

(1) Réseau IDée, Pour une alphabétisation écologique : à l’école de Paulo Freire, analyse d’éducation permanente, 2021.
(2) Lucie Tesnière, Des bienfaits pour la tête et le corps, revue Symbioses, n°136, décembre 2022.
(3) Sarah Wauquiez, Future skills – Cultiver en plein air les compétences d’avenir, 2023.
(4) Collectif Tous Dehors
(5) Olivier Mottint, L’école du dehors, entre intentions louables et écueils petits-bourgeois, in: L’école démocratique n°94, juin 2023, éd. Aped. Republiée sur le site de l’Aped le 21 août 2023.
(6) Ligue de l’Enseignement, Quelle égalité du dehors ?, Éduquer n°187, juin 2024, pp. 21-22.
(7) La nature est « utilisée » pour apprendre, par d'autres méthodes que celles généralement utilisées dans la salle de classe. Or, certains enfants rencontrent des difficultés à extraire les savoirs en jeu dans ce type de contexte ou d'approche.  Pour en savoir plus, voir la recherche collaborative Naturellement élève ? Pas si simple !, de l’ASBL Hypothèses, 2022-2023. 
(8) Christophe Dubois, Éducation par la nature : pour tous, vraiment ?, Symbioses, n°136, décembre 2022.
(9) Sarah Wauquiez est enseignante, active en Suisse dans l’école en plein air, formatrice et autrice de plusieurs livres sur l’école du dehors. Propos recueillis dans une interview pour les Cahiers pédagogiques n°570, juin 2021, pp. 34-35.
(10) Amy Phillips et al., Analyzing spatial inequalities in use and experience of urban green spaces, 2022. Voir aussi le dossier du magazine Médor sur les inégalités environnementales à Bruxelles, juin 2022.
(11) G. Bolte, G. Tamburlini, M. Kohlhuber, Environmental inequalities among children in Europe – evaluation of scientific evidence and policy implications, European Journal of Public Health, vol. 20, n°1, février 2010, pp. 14-20.
(12) Empreintes asbl / CRIE de Namur, Précarité et environnement.
(13) CRIE de Saint-Hubert, Insertion sociale par la nature.
(14) D’une Cime à l’Autre, Pour jeunes en difficulté. Voir aussi : Rupture en nature, Symbioses, n°136, 2022.
(15) Association Front de Mères, antenne de Bruxelles.
(16) Verdragon, Maison de l’écologie populaire, sur le site du Front des Mères.
(17) Site web Banlieues Climat 
(18) Voir aussi : Repas végétariens à l’école : les mères des quartiers populaires mènent la bataille, Reporterre.
(19) Interview réalisée à Namur par le Réseau IDée en 2023.
(20) Aped, Ambition et équité pour l’éducation, mémorandum 2020. Voir aussi : L’école ouverte – Enjeux et perspectives concrètes, L’École démocratique, n°86, juin 2021, pp. 4-9.
(21) Sophie Lebrun, La classe au parc, ça déménage, Symbioses, n°136, décembre 2022.
(22) Plus d’infos sur notre espace membre