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Eduquer à l’environnement à l’école secondaire : entre attentes des jeunes et défis pour les associations

Une analyse de Christophe Dubois (sur base des enregistrements et d’une synthèse collective issus de la Journée de l’Accord de Coopération du 14/11/25)

Quelles sont les spécificités des ados dont les professionnel·les du milieu associatif doivent tenir compte lors de leurs interventions dans les écoles secondaires ? Quelles pédagogies faut-il utiliser pour les toucher sur les thèmes environnementaux ? Réponses de la jeunesse, de l’école, des associations et de la recherche.  

D’un côté, une jeunesse qui veut s’exprimer, agir, mais qui se sent impuissante ; de l'autre, une école secondaire corsetée par ses horaires et ses programmes, peinant à intégrer profondément les enjeux environnementaux. Au milieu, des associations qui tentent à la fois de répondre aux attentes des un·es et des autres, de dépasser les contraintes, et de transFformer l’école, ses pédagogies et ses acteurs. 

Mais comment pratiquer l’Éducation relative à l’Environnement et au Développement Durable (ErE DD) dans le secondaire ? Ils et elles étaient une bonne centaine de professionnel·les de l’éducation relative à l’environnement (et quelques cadres du monde scolaire) à s’être donné rendez-vous pour répondre à cette question, dans le cadre de la Journée de l’Accord de coopération en ErE-DD organisée le 14 novembre 2025 à Mundo Namur.

L’enjeu n’est pas secondaire, si l’on ose le jeu de mot. Il y a l’urgence des enjeux climatiques,  qui nécessitent de sensibiliser massivement jeunes et moins jeunes. Par ailleurs, d’un point de vue strictement institutionnel, les nouveaux référentiels scolaires du tronc commun vont s’étendre au secondaire à partir de l’année prochaine, et ouvrent plus grand la porte aux questions socio-environnementales (voir l’outil ErE et référentiels). Pourtant, le secondaire reste le parent pauvre de l’éducation à l’environnement. Selon l’Etat des lieux 2022 réalisé par le Réseau IDée, seulement 12 % des associations d’ErE touchent très souvent le secondaire. C’est quatre fois moins que le primaire. Pourquoi une telle différence ? Les associations se heurtent à des grilles horaires cadenassées en tranches de 50 minutes, rendant difficile la mise en place de projets systémiques ou de sorties de terrain. De plus, les sujets environnementaux abordés dans le secondaire sont jugés « plus complexes », « moins prioritaires pour les écoles ». 

Certes, l’adolescence est vue par les animateurs et animatrices présent·es comme une période où l’on forge progressivement ses valeurs et sa vision du monde, mais les jeunes sont considéré·es comme un public moins « facile ». Un petit sondage express lors de la conférence les qualifiaient même « d’extraterrestres »,  « fatigués », « bouillants », « en construction », « mammifères en transition »… 

Un public demandeur

Le secondaire est donc peu touché, pourtant les besoins sont là. Selon une récente étude de l’UFAPEC, 59 % des élèves disent que les enjeux climatiques ne sont que rarement ou jamais abordés à l’école. Et 62 % des enseignant·es disent manquer de formation. Cela se ressent dans l’état des connaissances des élèves : seuls 13% des élèves de fin de secondaire comprennent correctement l’effet de serre ; un pourcentage qui tombe à 4,6% dans le professionnel (APED, 2019).

Lors de la table ronde animée en matinée par Arnaud Ruyssen, journaliste à la RTBF, les débats ont rapidement dépassé le cadre institutionnel pour toucher au cœur du métier d'enseignant·e et à la psychologie de l'adolescent·e.
On pourrait croire les jeunes désintéressé·es. C'est tout l'inverse. Autour de la table, Marc Debrus, du Forum des Jeunes, revient sur une étude que le Forum a mené en 2022, comprenant une enquête quantitative auprès de plus de 1000 jeunes (doublée de débats mouvants), pour récolter la parole des jeunes concernant l’éducation à l’environnement à l’école. Elle révèle notamment que 91 % des jeunes sondé·es souhaitent davantage d'éducation à l'environnement à l’école. Pourquoi l'environnement est-il pour eux et elles une priorité ? « Parce que il y a l'urgence et en même temps ils se disent qu'on ne peut plus rien faire. Donc ça suscite de l'anxiété. Une anxiété qu’on constate aussi dans une autre étude en cours sur la question de la biodiversité », résume Marc Debrus.

« Marre d'être alarmés sans être écoutés »

Ils et elles sont donc demandeurs de plus d’éducation à l’environnement à l’école secondaire, mais pas n’importe comment. Rebecca Gunumana, ancienne présidente du Parlement des Jeunes pour l’Environnement, n’a que 19 ans mais déjà une analyse sans fard, ancrée dans son vécu. Assise parmi les expert·es de la table-ronde, elle raconte son propre « déclic », venu non pas d’un diaporama lors du cours de géographie, mais à l’occasion d’une intervention extérieure : « Il y a l’influence de mes parents, mais le déclic, je l’ai eu quand GoodPlanet est venu dans notre école. Ça a ouvert une porte que je n’avais jamais vue en cours. » Dans le cadre du Parlement des Jeunes, grâce à l’accompagnement de l’association, elle a pu se forger un avis et émettre des propositions face aux député·es. Une occasion rare à l’école, observe-t-elle : « Les jeunes en ont marre d’être alarmés sans pouvoir s’exprimer. On leur dit qu’on est dans la merde, mais on ne leur demande jamais : “Et toi, tu en penses quoi ?” ». Rebecca a interrogé plusieurs élèves de son ancienne école. Verdict : une angoisse diffuse, une sensation d’impuissance, mais aussi une colère sourde envers les adultes. « On a l’impression qu’on doit réparer ce que vous avez cassé. » Cette angoisse n’est pas synonyme de désintérêt, bien au contraire. « Ils veulent s’engager. Mais ils ne savent pas comment. Ils n’ont pas les moyens, pas les espaces, pas l’écoute. Certains pensent qu’on a la flemme d’agir. Non ! On veut essayer, mais on n'a pas les moyens de le faire. Et des grands discours culpabilisants, des trucs théoriques, ça ne marche pas. »

Des jeunes aux profils très divers

Pour étayer ce vécu par des constats scientifiques, Amélie Anciaux (coordinatrice Durabilité au Pôle académique de Namur) présente une étude de 2022, « Jeunes, communication et climat », menée auprès de 1000 jeunes (16-24 ans) et de 7 focus groups. Une recherche financée par le CFDD après les marches pour le climat, « preuve que ces manifestations ont changé quelque chose, même si les jeunes ne le voient pas, insiste-t-elle. Mais attention, demander aux jeunes s’ils veulent plus d’ErE DD, c’est un peu comme i on demandait “est-ce que vous voulez plus de paix dans le monde ?”. Quand on creuse plus profondément, c’est plus nuancé. »

Selon la sociologue, si toutes et tous sont né·es avec les enjeux climatiques et que cela les inquiète, il n’y a pas « les jeunes », mais une mosaïque de profils avec des rapports très différents à l’environnement. Elle en distingue plusieurs, qui ne sont pas exclusifs (un·e même jeune peut entrer dans plusieurs catégories, et évoluer au sein des catégories) :

  • Les Sweet Sixteen (16-17 ans)
    Moins inquiet·es, plus optimistes, mais faiblement informé·es. Ils et elles préfèrent les formats courts, les images choc, TikTok… et étonnamment aussi le JT regardé en famille.
  • Les super-engagé·es
    Une minorité, mais très active, à l’image de Rebecca. Présente dans les Parlements de jeunes, dans les marches, dans les projets. « Rares, mais moteurs », précise Amélie Anciaux.
  • Les sensibilisé·es
    Ils et elles font « leur part », mais avec une compréhension limitée. « Leur action prioritaire pour le climat ? “Je mets mes déchets à la poubelle.” » Comme un écho aux discours simplifiés entendus à l’école et ailleurs.
  • Les désinvesti·es
    Ils et elles comprennent les enjeux, mais ne voient aucun moyen d’agir : « Pas le permis, pas le droit de vote, pas de budget… Qu’est-ce qu’on peut faire ? »
  • Les super-angoissé·es
    Submergé·es d’informations : réseaux sociaux, presse, télé… « Leur réaction à l’angoisse ? S’informer encore plus. C’est un cercle vicieux. »
  • Les hyper-optimistes technophiles
    Souvent dans les filières scientifiques ou techniques. « Pour eux, la technologie va tout résoudre. »

Cette diversité amène une recommandation en termes de communication et de pédagogie : un même message ne fonctionnera jamais pour toutes et tous.

Une école à transformer

Un autre paradoxe ressort de toutes les interventions : les jeunes sont à la fois saturé·es et mal informé·es. Marc Debrus, du Forum des Jeunes, confirme : « Ils disent qu’on leur parle tout le temps d’environnement. Mais quand on demande : “C’est quoi la biodiversité ?”, certains n’en ont aucune idée. » Pourquoi ? Parce que les informations reçues sont parcellaires, aléatoires, dépendantes des profs motivé·es. « Ce qu’ils demandent, c’est une information claire, structurée, du début à la fin du secondaire. Pas des miettes. »

Aborder l’environnement de façon active, sous forme d’un continuum tout au long de la scolarité, c’est une demande récurrente émise par les associations d’éducation à l’environnement auprès du gouvernement, par la voix de leur fédération. C’est aussi ce que demande Gaëtane Coppens, enseignante de physique et chimie dans le secondaire supérieur, et co-autrice de la Charte pour un enseignement à la hauteur de l’urgence écologique, signée par un millier d’enseignant·es. Son constat est sévère : « À l'exception de quelques écoles et de quelques profs qui arrivent à faire des choses extraordinaires, dans la majorité des cas, les enjeux d’environnement, c’est un chapitre qu’on laisse pour la fin… si on a le temps. Ou alors ce sont des projets bénévoles donc des activités libres dans lesquelles seuls les profs et les élèves les plus motivés s'impliquent. » Ça reste des actions de sensibilisation, ou alors un enseignement très théorique qui alerte sur la situation mais qui ne laisse pas suffisamment les élèves s'exprimer, envisager des solutions et se mettre en action. Gaëtane Coppens pointe également la structure même de l'école secondaire, où les savoirs sont cloisonnés, ce qui empêche une approche transversale pourtant indispensable pour comprendre le climat ou la biodiversité.

Elle évoque des programmes surchargés, des enseignant·es découragé·es, isolé·es, parfois moqué·es par d'autres profs ou par la direction. « Certains pensent quitter l’enseignement parce qu’ils n’arrivent plus à donner du sens. Avec les manifs climat de 2019, on sentait une demande et donc il y avait une certaine émulation. Aujourd'hui, on est face à un public beaucoup plus résigné. Les jeunes sont résignés de voir que le monde adulte reste dans la majorité très inerte par rapport à la situation. » Avant d’ajouter, en réaction aux profils présentés par Amélie Anciaux  : « Les profils qu’on voit chez les jeunes, on les retrouve aussi chez les enseignants ». Former les profs est aussi urgent que former les élèves.

Selon l’enseignante, l’engagement de la direction et le projet d’école sont de puissants leviers pour mener des projets d’ErE DD. Un constat qui ressortait déjà d’une large enquête menée par le Réseau IDée en… 2011 ! « Quand une direction intègre l’éducation à l’environnement dans le projet d’établissement, tout change. Le temps se libère, les équipes se coordonnent, les élèves s’engagent, et on peut travailler avec les associations. Et à ce moment-là, je pense qu'on peut créer une dynamique capable de redonner de la motivation, de l'espoir et de travailler beaucoup d'apprentissages scolaires en leur donnant du sens, en interdisciplinarité. »

Des cours aux formats courts

Comment capter l'attention d'adolescent·es habitué·es à des formats ultra-courts ? « On a plus facilement la possibilité de retenir 15 secondes sur TikTok que 50 minutes sur un cours », admet Rebecca Gunumana, qui suggère d’adapter davantage les formats éducatifs aux jeunes d’aujourd’hui : « On est une génération très interactive. Et on aimerait avoir les moyens de s'engager, mais sans que ça ressemble forcément à un cours classique. Jusqu'à présent, ça a toujours été la même façon de nous sensibiliser et on voit que la situation est en baisse. Donc, essayez autre chose… ».

Amélie Anciaux rebondit sur cette réalité, pour proposer de « partir de quelque chose dont les élèves ont l'habitude et le décrypter ensemble ». Par exemple, visionner une vidéo virale en classe et inviter un·e expert·e ou un·e journaliste pour déconstruire le message. L'objectif est de désacraliser la figure d'autorité classique pour aller vers un débat horizontal. Les jeunes ne veulent plus d'une information frontale ; ils et elles veulent qu'on parte de leur vécu. Comme le fait le jeune français Féris Barkat au sein de Banlieue Climat. Tout en nuançant : « L'école est aussi un bouc émissaire facile. Parfois, lorsque l'école propose des choses, ils nous disent qu’ils ne sont pas attentifs, que c’est chiant », constate la sociologue. Les jeunes attendent de l'école d'ouvrir la place au dialogue et aimeraient pouvoir s'engager dans un projet sans que ça ressemble à un cours classique.

Au-delà des programmes, c'est la structure et la pédagogie du secondaire qui doivent évoluer. Pour répondre à une jeunesse déjà consciente mais anxieuse, l'école doit devenir un terrain d'expérimentation concrète. Il ne s'agit plus seulement d'enseigner la crise aux adolescent·es, mais de les outiller réellement pour qu'ils et elles puissent y répondre. Les associations ont là une belle carte à jouer, pour transformer dans les marges.

Le développement du sentiment de pouvoir agir des jeunes face aux changements climatiques à l’école secondaire, E. Morin, G. Therriault & B. Bader, Éducation Relative À l’Environnement - Regards, recherches, réflexions,Volume 17-1, 2022. https://doi.org/10.4000/ere.7710

Conseils péda, testés pour vous

Lors de la Journée de l’Accord de Coopération du 14/11/25, 12 projets ont été présentés, tous aussi variés les uns que les autres. Histoire de s’inspirer et de partager entre professionnel·les de l’éducation. Quelques idées qui en résultent, pour toucher les jeunes du secondaire :

  • écouter les jeunes, aborder l’environnement par l’expression, le débat sur des questions vives,
  • apprendre en s’amusant,
  • susciter un dialogue constructif,
  • utiliser le jeu de rôles,
  • construire des actions concrètes, qui ont un impact,
  • partir du quotidien/du vécu/de valeurs/des préoccupations des jeunes,
  • politiser le vécu (comprendre les oppressions et injustices systémiques derrières les vécus  individuels),
  • laisser le droit de ne rien dire,
  • trouver des personnages inspirants,
  • reconnaître que l’animateur ou l’animatrice n’est jamais neutre,
  • viser l’épanouissement,
  • activer la créativité, 
  • faire participer le public,
  • s’appuyer sur l’expertise pédagogique et thématique des associations,
  • ...

Synthèse réalisée par Dominique Willemsens