L’énergie en partage
L’énergie en partage
Août 2023, par Lucie Tesnière
Un article du magazine Symbioses n°137 : Prêts pour la révolution énergétique ?
Il est désormais possible de mettre en place à Bruxelles des partages d’énergie renouvelable. Explorons ces possibilités offertes à toutes et tous pour combiner écologie et cohésion sociale.
De plus en plus de Belges produisent de l’électricité via l’installation de panneaux photovoltaïques. Or, il est désormais possible de partager ou de vendre le surplus d’électricité non consommée à ses voisin·es (1). Selon Énergie commune, qui accompagne citoyen·nes et collectivités dans le développement des énergies renouvelables, ces partages d’énergie permettent d’accéder « à une électricité potentiellement moins chère et dont le prix est plus stable »(2). Ces partages sont aussi accessibles aux locataires qui n’ont pas les moyens d’investir dans des panneaux solaires. À ce titre, ils pourraient aider à « lutter contre la précarité énergétique ». Enfin, ils permettent d’exploiter au maximum le potentiel solaire et d’encourager la flexibilité et la sobriété énergétique. Fini l'électricité coûteuse et polluante produite par de grandes centrales. Le principe du circuit court s’applique désormais aussi à l’alimentation électrique, et même au chauffage (co-génération). « Nous estimons que le système énergétique gagne en résilience si production et consommation peuvent être équilibrées au niveau le plus local possible », explique Grégoire Wallenborn, chercheur à l’ULB (lire encadré ci-dessous).
Photo : City-Mine(d)
Les habitant·es participant au partage d’énergie SunSud découvrent le fonctionnement de leurs nouveaux compteurs
Partages d’énergie
Il y a trois types de partage :
- Le « pair à pair » : par exemple entre deux voisin·es habitant à des adresses différentes.
- Au sein d’un immeuble : la production est partagée entre les appartements d’une copropriété par exemple.
- La communauté d’énergie : un ou plusieurs producteurs locaux partagent leur énergie avec une partie du quartier. Cela nécessite la création d’une ASBL, comme cela a par exemple été fait à l’école des Bambins à Ganshoren.
Les participant·es au partage établissent une convention pour fixer les règles d’échange et de facturation. Et reçoivent deux factures : celle de leur fournisseur d’électricité habituel et celle du producteur du partage d’énergie. Chaque participant·e doit avoir un compteur communicant permettant le partage d’énergie.
Plusieurs projets de communautés d’énergie sont en discussion, notamment avec des écoles et des communes. Une opportunité d’aborder le sujet de la transition énergétique en classe. Et – pourquoi pas ? – d’ouvrir l’école sur ses voisin·es et créer une communauté éducative élargie ?
Un projet pilote écologique et social
Le projet SunSud est le premier partage d’électricité en logement social en région bruxelloise (3). Un projet pilote mis en place avant même l’entrée en vigueur de la réglementation sur les partages d’énergie.
Situé à Saint-Gilles, le logement social concerné disposait de plus de cent panneaux photovoltaïques, installés par le propriétaire (le Foyer du Sud). Au départ, cette électricité était uniquement utilisée dans les espaces communs de l’immeuble. Depuis un an, les locataires qui le souhaitent peuvent consommer l’excédent d’électricité produite à un tarif avantageux.
SunSud, lancé en 2020 – en plein confinement – a associé les habitant·es dès le début, explique Sofie van Bruystegem, responsable du projet pour City mine(d), une association qui met en place des projets combinant développement urbain durable et inclusion sociale. City mine(d) a organisé des rencontres pour leur présenter le concept et, petit à petit, est parvenue à regrouper, parmi les 110 locataires, cinq-six personnes motivées, devenues « ambassadeurs et ambassadrices » du projet. « Les ambassadeurs ont proposé de créer une boîte à questions pour collecter les interrogations des habitants et créer un programme d’ateliers adaptés à ces questionnements ». Au début, ces locataires étaient méfiants : « Est-ce qu’il y a des risques d’incendie/d’infiltrations ? Est-ce que le loyer va augmenter ? C’était important de les rassurer. »
Apprentissages et économies
Les ateliers sont organisés en partenariat avec le Centre d’Appui SocialEnergie, qui offre un soutien sur les questions socio-énergétiques. « Les habitants se sont familiarisés avec la physique ("qu'est-ce que l'énergie ?"), l'économie (comprendre sa facture et le marché de l’énergie), mais aussi avec la manière de prendre des décisions équitables. Ils ont aussi dû obtenir une dérogation du régulateur et convaincre le ministre de l'Environnement de soutenir leur cause », raconte City mine(d). Pour visibiliser le projet, le groupe a conçu un panneau d'information. Christiane Vandecauter, locataire du Foyer du Sud, se rappelle : « J’ai trouvé très instructif d’aller à la cave découvrir nos nouveaux compteurs électriques, qui montrent ce qu’on a consommé, quand on utilise l’électricité du réseau et quand on utilise celle des panneaux. » Christine se souvient aussi de ce qui l’a convaincue de participer : « On nous a dit : l’électricité produite par les panneaux solaires de votre bâtiment et non consommée par les communs retourne à Engie. On s’est dit: mais enfin, c’est con ! Autant utiliser nous-mêmes cette énergie ! » Au final, 20 ménages ont accepté le partage d’énergie.
Actuellement, le tarif de l’électricité solaire du projet Sunsud représente un tiers du tarif du marché. Les participant·es qui ont le tarif social économisent une centaine d’euros par an.
Un bulletin mensuel informe les locataires de la production des panneaux et de la part consommée par leur foyer. « Un comité de locataires participant à SunSud suit le projet sur le long terme. Chaque mois, il se réunit pour faire avancer le projet. » Pour Sofie van Bruystegem, toutes les clés sont en place pour que ce partage fonctionne sans City Mine(d), qui se retirera bientôt du projet. « Les locataires ont énormément appris sur l’énergie. Mais ils ont aussi appris à s’organiser ensemble, à porter un projet. Certaines personnes ne lisent quasiment pas, mais ont une passion pour la physique qu’elles ont pu partager. Ça révèle des expertises cachées. »
Le projet en est presque devenu politique : « Les locataires sociaux sont souvent marginalisés. À SunSud, ils ont réalisé qu’ils avaient une voix. Il y a désormais un groupe qui s’auto-organise, qui a construit un projet avec son propriétaire. » Cette communauté d'énergie rend le système énergétique plus démocratique, en rendant aux citoyen·nes leur autonomie et leur pouvoir d’action – collective ! – en matière d’énergie.
Ce que Christiane, elle, retient aussi de ce projet, ce sont « ces amitiés développées grâce aux réunions avec les locataires qu’on ne connaissait pas. Ce processus nous a soudés. On se comprend mieux, quelle que soit notre origine. Ça a aussi changé ma façon de consommer de l’électricité», conclut-elle.
Liens utiles :
- Le projet SunSud : www.sunsud.be et www.lapile.org/fr/sunsud
- Les communautés d’énergie à Bruxelles : www.renouvelle.be/fr/communautes-energie-bruxelles-5-questions
- Le projet Voisins d’énergie : wiki.voisinsenergie.agorakit.org
(1) Déjà d'application à Bruxelles et en Flandre, le partage d’énergie est désormais possible aussi en Wallonie.
(2) Présentation d’Énergie Commune lors de la conférence « Partage & Communautés d’énergie » du 9 mai 2022 à Bruxelles Environnement.
(3) Le projet Sunsud est soutenu par la Commune de Saint-Gilles, Bruxelles Environnement, et est réalisé en collaboration avec Le Foyer du Sud, Énergie commune et City Mine(d).
Photo : City Mine(d)
Plus de cent panneaux photovoltaïques ont été installés sur le toit du logement social.
Photo : City Mine(d)
Des ateliers ont été organisés sur le thème de l'énergie pour les locataires
« Wow, on est voisins d’énergie ! »
En région bruxelloise, six groupes de citoyen·nes participent à Voisins d’énergie, une recherche collaborative sur le thème de l’énergie qui s’inscrit dans le cadre du programme Co-Création (1), financé par Innoviris. Le but ? Explorer avec les habitant·es des façons de s’organiser pour produire et auto-consommer collectivement l’énergie et ainsi s’approprier la transition énergétique.
A Laeken et Boitsfort, des expérimentations ont ainsi été menées avec deux groupes de voisin·nes. « On a envoyé des alertes par SMS, pour demander aux habitant·es de réduire leurs consommations d’énergie afin d’équilibrer le réseau électrique au niveau local », souligne Grégoire Wallenborn, coordinateur du projet Voisins d’énergie et chercheur-enseignant sur les questions énergie-société-technologies à l’ULB (lire notre entretien avec Grégoire Wallenborn). « Lorsque je reçois le sms, j’évite d’utiliser mon four, ma machine à laver… », explique une participante interrogée par le magazine Imagine. « Moi je coupe tous les appareils depuis le compteur », raconte une autre. Le but ? Montrer qu’il est possible, si on demande aux gens quelques fois par an de réduire leurs consommations, de se passer de la construction de nouvelles centrales au gaz, utilisées quelques jours par an, au moment des pointes, de 17 h à 20 h. Expérience concluante : « Avec ces signaux d’alerte, on arrive à avoir un réel impact. Certains ménages diminuent jusqu’à 85% leur consommation pendant 3 voire 6 heures », partage Grégoire Wallenborn, qui souligne aussi l’importance de la cohésion sociale dans ce processus. « Les groupes où il y a déjà une dynamique de quartier entraînent le collectif vers une modification de la consommation d’énergie. C’est ce qui nous a particulièrement intéressés : comment l’énergie peut devenir vecteur de lien social, voire de transformation sociale. »
L’idée était aussi de faire apparaître les infrastructures électriques invisibles et pourtant déterminantes dans notre vie quotidienne : « On a montré des cartes qui mettaient en évidence l’infrastructure électrique reliant des personnes à une même cabine basse tension. Les gens s’exclamaient :“Wow, on est voisins d’énergie, alors !” Ça permet de réfléchir collectivement à la façon dont on peut transformer ce système ».
Ensemble, les citoyen·nes se demandent « à quoi sert notre électricité ? Est-ce qu’on pourrait mieux l’utiliser ? » Grégoire Wallenborn cite ainsi l’exemple de logements sociaux dans le quartier Volta, à Ixelles. Les voisin·nes ont décidé que l’électricité produite localement alimenterait des vélos cargos mis à disposition des personnes âgées et handicapées pour les aider dans leurs courses. Ils voulaient aussi créer une cuisine collective. « C’est le collectif qui permet de vraiment faire évoluer la réalité sociale. »