Le jardin potager, c’est la classe
Le jardin potager, c’est la classe
Mai 2022, par Sophie Lebrun
Un article du magazine Symbioses n°135 : Eduquer à l’environnement en maternelle
A l’école de la Marolle, en plein cœur de Bruxelles, les espaces verts aménagés par les enseignantes sont de riches terrains d’apprentissages.
Au centre de Bruxelles, dans un entrelacs d’immeubles et de rues étroites non loin de la gare du Midi, se niche un paisible îlot alternant pavillons de plain-pied et patios : l’école communale maternelle de la Marolle. Le couloir du « pavillon vert » est tapissé de fleurs, d’oiseaux et de renards bricolés par les élèves de Bénédicte Bovagnet et Elisa Tea. Il y flotte une odeur boisée et acidulée. Dans le coin cuisine aménagé à leur hauteur, entre les deux classes, quelques enfants concoctent de la gelée de sureau. Ils pressent les fleurs, préparent le sucre dans un pot gradué et retirent l’écume du mélange en cours de cuisson, sous l’œil confiant et attentif de Madame Bénédicte. De temps à autre, d’autres élèves viennent spontanément prendre le relais. L’autonomie et l’entraide sont les maîtres-mots de ces deux classes « verticales » qui mêlent 1e, 2e et 3e maternelles. « Il y a une émulation, et cela stimule la débrouillardise et la curiosité », explique l’institutrice.
Sa classe ressemble à une caverne d’Ali Baba grouillant de propositions d’activités, de matériel créatif, de livres sur la nature, de jeux insolites ou fabriqués maison, de 1001 objets chargés d’histoire(s). Le « coin construction » déborde de blocs en bois de récup’, de figurines animales, mais aussi de pommes de pin, branches, pierres, coquilles, plumes et autres trésors glanés au fil de balades. « Nous pratiquons l’école du dehors deux fois par mois, indique l’enseignante. Les fleurs de sureau ont été cueillies lors d’une sortie en forêt de Soignes. » Quant aux escargots séjournant dans le terrarium, « on les a trouvés dans le compost, là, dans le jardin », explique un élève en montrant l’espace extérieur qui borde la classe.
Légumes d’ici, recettes d’ailleurs
Durant deux ans, les institutrices ont transformé ce qui était jadis une simple terrasse et un petit bout de terrain vague. On s’y balade désormais entre des carrés potagers, une haie mixte, des arbustes et arbres fruitiers, et du mobilier en palettes. Cet îlot vert fait écho aux potagers, mare, poulailler et cabane aménagés,
il y a quelques années, dans le patio jaune, par un groupe d’enseignantes aidées de parents et de l’asbl Tournesol. Forte de cette expérience, Bénédicte Bovagnet a remis ça à côté de sa nouvelle classe – avec les conseils de Tournesol et de la Ferme du Parc Maximilien (voir Adresses utiles, pp.26-27).
« Cet après-midi, on sera au jardin », annonce-t-elle. Sourires ravis ! La classe dresse la liste des tâches à effectuer au potager : désherber, cueillir, planter, pailler, arroser et nourrir les plantes (« les vitamines de compost, vous vous souvenez ? » « Ah oui, le caca de ver de terre, et le jus-là… » « Le percolat »). Quelques enfants s’y mettent joyeusement. D’autres sont plutôt d’humeur à partir à l’aventure dans la verdure, ou à triturer la terre pour concocter une soupe aux cailloux.
Pas si anodin, car les élèves cuisinent régulièrement de la soupe à l’école, avec quelques légumes du potager ou les orties qui poussent à côté. Ou bien un dessert aux framboises. Tout cela nourrit le projet « alimentation saine » (1) de l’école, qui s’est doté d’une saveur multiculturelle cette année : « les parents ont été invités à présenter une recette d’un autre pays. »
Apprentissages enracinés dans l’action
Si le potager ne fournit pas toujours de quoi faire tout un potage, il est, avant tout, un terrain riche en apprentissages. « On aborde ainsi de manière très concrète les fruits et légumes locaux, bio et de saison, la croissance et les besoins des végétaux, le rôle des insectes, les saisons… » Au potager, et plus largement dans la nature, on peut tout faire, énumère Madame Bénédicte : compter (les trous pour les semis), trier-classer-ordonner (des graines), développer sa dextérité, ses capacités d’expression (« on met plus facilement des mots sur des choses qu’on a expérimentées »), sa curiosité alimentaire... Cultiver la patience et l’entraide aussi (« dans des espaces plus grands, l'enseignant ne peut pas être partout »). « Ancrés dans le vécu et l’action, les apprentissages ont du sens. »
Régulièrement, ce sont les questions des enfants qui font germer des projets. « Un élève a observé que les branches basses de l’amandier ne donnaient pas de fruits. Ils ont voulu comprendre. En fait, ils avaient cueilli les fleurs. On a donc expliqué le lien fleur-fruit-insecte, observé les fleurs à la loupe, dessiné et mis quelques mots sur tout cela : pistil, étamines… »
Le jardin potager est une source d’émerveillement inépuisable. « La récolte des pommes de terre, c’est magique, glissent les enseignantes. Alors qu’on ne voit plus grand-chose, juste des feuilles séchées… on creuse et on découvre des pommes de terre par dizaines ! »
(1) Idées à picorer dans Jim Carotte, une alimentation durable dans mon cartable, 5-8 ans, un projet pédagogique de Bruxelles Environnement.
Photo : Sophie Lebrun