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Article Symbioses

Dans les écoles, après le choc

Dans les écoles, après le choc

Dans les écoles, après le choc

Mai 2024, par Sophie Lebrun
Un article du magazine Symbioses n°140 : Futur incertain - Anticiper et s’adapter


Faire émerger le vécu des enfants via le théatre, leur proposer de réinventer leur quartier, construire en tenant compte des aléas climatiques… La résilience prend différentes formes dans les écoles fortement impactées par les inondations de 2021. 

 


En juillet 2021, la Wallonie est la proie de terribles inondations, en particulier dans les vallées de la Vesdre, de l’Ourthe, de la Lesse et de leurs affluents. Bilan : 39 personnes décédées, 100 000 sinistré·es et d‘innombrables destructions et dégâts (48 000 bâtiments, 560 ponts, etc.). Plus de deux ans et demi plus tard, les quartiers durement touchés en portent encore de nombreux stigmates. Mais on voit aussi s’y créer des projets d’aménagements résilients et des formes d’expression collective, qui ouvrent un nouveau chapitre tout en cultivant la mémoire des événements vécus (1). C’est le cas, notamment, dans des écoles. Où l’après-inondation a d’abord rimé avec réorganisation et accueil des émotions, puis, peu à peu, avec reconstruction. Exemples en bord de Vesdre.

Un riche projet a été mené, dès l’automne 2021, dans l’école communale de l’Est, située dans le quartier populaire de Pré-Javais, à Verviers. Après une première phase d’expression et d’écoute des émotions, les enfants ont été invités à « élaborer une reconstruction symbolique de leur quartier » via différentes techniques d’expression, explique Audrey Depresseux, l’éducatrice qui a coordonné le projet (2). Objectifs : favoriser leur résilience et leur confiance en eux, et retisser du lien social. Au fil de l’année, les élèves ont ainsi participé à des ateliers animés par des acteurs socio-culturels locaux : photographie, slam, cuisine du monde, visite axée sur l’histoire du quartier et création de maquettes du quartier de leurs rêves, etc. Ils et elles ont présenté leurs réalisations au Collège communal. Et le projet s’est clôturé sur une grande fête. Tout cela « a accru le sentiment d'appartenance au quartier », constate Audrey Depresseux.

Depuis août 2023, c’est le le bâtiment lui-même qui se reconstruit et reprend des couleurs. Tout le rez-de chaussée avait été dévasté.

Le théâtre pour faire entendre les enfants

On se souvient aussi (2) de l’athénée royal Verdi/section fondamentale, à Pepinster – qui n’a jamais pu réintégrer son bâtiment. Entre autres initiatives, dès l’automne 2021, l’équipe éducative avait intégré au programme des activités misant sur le bien-être (un après-midi yoga et relaxation, des ateliers de cuisine et de création de mobilier pour la cour…). Activités d’autant plus bienvenues que beaucoup d’enfants vivaient « une situation compliquée à la maison » (domicile dévasté, déménagements successifs…).

En 2022-2023, cette école a vécu une autre expérience porteuse de résilience, qui a « aidé les enfants à exprimer leurs ressentis sur les inondations, et à voir que la vie reprend et promet encore de belles choses », témoigne Sophie Petitjean, institutrice. Deux classes de primaire de l’athénée ont en effet pris part à la première phase du projet Les enfants de la vallée : une belle aventure humaine et artistique menée par les Ateliers de la Colline, compagnie de théâtre jeune public. Elle se poursuit cette année dans d’autres écoles, à Theux, Verviers, Angleur et Chênée.

Dans chacune d’elles, la ou les classes participantes vivent dix ateliers animés par des comédien·nes, qui aboutissent à une création montrée aux parents et au public local. Parallèlement, l’ensemble des ateliers et créations nourrit la conception d’un spectacle qui tournera dans les centres culturels (3).

Objectif principal de ce vaste projet : permettre aux enfants de faire entendre leur vécu des événements de juillet 2021. Leur ressenti, leurs observations, mais aussi leurs espoirs pour l’avenir. Trop souvent, « les mots des enfants sont oubliés, en particulier dans les moments de crise. (...) On ne les voit pas comme des personnes à part entière, douées d’un regard social », explique Mathias Simons, directeur artistique de la compagnie. (4)

Au fil des ateliers, les enfants évoquent la vie avant, pendant et après les inondations. Avec leur corps et avec leurs mots, ils donnent forme à des notions telles que la peur, la perte et l’entraide. Ils exorcisent la catastrophe en la représentant sous la forme d’une créature effrayante. « Ça permet d’être en relation, de combattre, de contrôler, d'interagir avec le monstre », expliquent les artistes qui accompagnent le projet.

Un bâtiment scolaire résilient

Cela bouge aussi dans le quartier d’Ensival, à Verviers.

Une importante page se tourne, en ce mois de mars 2024. La démolition de la vénérable école communale, dévastée par les inondations, a démarré. Sur le même site, un nouveau bâtiment scolaire ouvrira ses portes à la rentrée 2026. « Il a été pensé pour être résilient, adaptéaux effets des dérèglements climatiques, en particulier aux crues de la Vesdre », explique l’architecte Daniel Delgoffe, l’un des auteurs de projet. Concrètement ? Les fonctions essentielles (classes et locaux techniques) seront situées aux étages, hors crue. Le rez, lui, sera adapté au passage de l’eau (pilotis, éléments de façade amovibles...). La cour sera revégétalisée et plus perméable, et le lit de la Vesdre, élargi. Le chauffage sera « décarboné » (pompe à chaleur). Enfin, le projet inclut la réutilisation d’éléments de l’ancienne école (fronton, une partie des briques et des carrelages…). (5)

Autre avantage : l’école restera sur son site d’origine, au centre d’Ensival, souligne sa directrice, Veronica Liz. « C’est important. 90% de nos élèves vivent dans ce quartier, qui fonctionne comme un petit village. »

En attendant, en ce printemps 2024, enfants et enseignant·es sont tout heureux d’occuper leur « nouvelle école provisoire » – un vaste bâtiment en modules préfabriqués. « On se sent enfin à nouveau dans une vraie école, avec suffisamment d’espace et des locaux adaptés à nos besoins », se réjouit la directrice.

Car la vie n’a pas été un long fleuve tranquille depuis la rentrée 2021 : « On a déménagé plusieurs fois. On a dû s'adapter en permanence. Il y a eu des moments difficiles. On a appris à être patients et résilients. Dès le début, l’équipe éducative a été fort à l’écoute des enfants – les premiers mois, la moindre pluie pouvait susciter de la peur. Ce qui nous a fait avancer, dans l’adversité, c’est l’entraide, les liens noués avec les parents, la solidarité. »

Des bénévoles flamand·es ont ainsi récolté des dons et aménagé une aire de jeux pour l'école provisoire, dans le parc voisin.


(1) Celle-ci « n’est pas faite pour qu’on se souvienne, elle est faite pour qu’on agisse », souligne le psychiatre Serge Tisseron (lire son interview)
(2) Nous vous en parlions dans le dossier du Symbioses n°132 consacré aux inondations (article Se reconstruire)
(3) Ce spectacle est prévu pour août 2025. Il aura deux versions, dont l’une avec des enfants sur scène. A suivre sur www.ateliersdelacolline.be
(4) Dans Les enfants de la vallée, paru dans la revue Imagine N°156, mai 2023.
(5) https://aadd.be/projets/Ecole-dEnsival

© Lola Contessi

Photo : ©Lola Contessi
L’eau monte rapidement, on déménage ce qu’on peut… Une classe participant à un atelier théâtral, dans le cadre du projet Les enfants de la vallée, mené par la compagnie Les Ateliers de la Colline.


Etudiant·es sur le terrain

Au lendemain des inondations de 2021, des enseignant·es de l’ULiège ont initié divers projets.

Le Labo Vesdre (ULiège et ULB), créé pour aider à concrétiser la reconstruction résiliente de la vallée, organise des colloques (voir le blog).

La Task Force Vesdre, elle, développe une rechercheprojet (interdisciplinaire) de prospective territoriale. Elle implique des étudiant·es en architecture et en sciences appliquées (ULiège, ULB, KULeuven) : ils et elles descendent sur le terrain, rencontrent des habitant·es et des élu·es de communes sinistrées, et apprennent à développer un projet d'urbanisme en tenant compte des dérèglements climatiques (lire l’article).

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