Enseigner dehors pour préparer le futur
Enseigner dehors pour préparer le futur
Mai 2024, par Christophe Dubois
Un article du magazine Symbioses n°140 : Futur incertain - Anticiper et s’adapter
De quelles compétences les enfants auront-ils besoin pour bien vivre en 2050 ? Et si ces compétences se cultivaient en plein air ? Immersion dans une formation d’enseignant·es, dans les pas de la Suissesse Sarah Wauquiez.
En cette fin février, des mains se réchauffent au-dessus d’un feu de bois, en bordure des scintillants étangs de Virelles. A l’initiative de l’Aquascope, elles sont vingt-deux institutrices de maternelle et de primaire à participer à la formation Cultiver en plein air les compétences d'avenir, proposée par Sarah Wauquiez, autrice suisse d’un récent ouvrage sur la question (1).
Parmi les participantes, la plupart expérimentent déjà « l’école du dehors » et sortent plusieurs fois par mois avec leurs élèves, en pleine nature, pour y vivre des apprentissages (2). Mais comment cette pratique d’éducation par la nature peut-elle concrètement outiller les enfants face au monde de demain ? Quelles sont les aptitudes utiles pour se préparer au futur et le construire dès à présent ?
Pour y répondre, une enseignante est invitée à se coucher par terre, sur le dos. Sa silhouette permet aux autres de dessiner au sol une « super héroïne » à partir de bouts de bois. Sarah Wauquiez distribue alors des languettes en papier reprenant les compétences d’avenir qu’elle a identifiées. « Par deux, discutez de cette compétence, de pourquoi elle est importante pour l’avenir et comment la développer dehors, propose la formatrice. Vous allez ensuite symboliser cela sur la silhouette, avec des éléments naturels. »
Dessine moi une super héroïne
Elodie (enseignante en P5 à Châtelineau) et Valérie (enseignante maternelle à Saint-Remy) lisent leur bout de papier : « Coopération et communication ». Deux qualités jugées essentielles, tant pour construire l’avenir que pour surmonter les difficultés. « Quand on fait des activités en forêt, les élèves s’entraident davantage, spontanément », témoignent-elles.
A côté, ça discute « adaptabilité » : « C’est très important, souligne Sarah Wauquiez, parce que le changement rapide est une constante actuelle et future ». Or, dehors, l’environnement change sans cesse, tant le ou la prof que les élèves doivent s’adapter. Cela demande un certain lâcher-prise par rapport à ce qu’on a prévu, au programme, au temps. « Les premières fois, avant de sortir, on prévoyait plein de matériel, on anticipait ce qui pouvait arriver, confirme une institutrice de Rièzes, au sud de Couvin. Puis, on s’est rendu compte qu’on n’utilisait pas grand-chose et qu’il fallait surtout s’adapter. »
Les autres « compétences d’avenir » s’égrainent, parsemées de témoignages d’écoles du dehors : courage, autonomie et prise d’initiative, confiance (en soi, en l’autre et en l’avenir), empathie, curiosité, etc. Progressivement, le super héros du futur prend forme à nos pieds et dans les têtes, alors que le soleil transperce les nuages.
Retour vers le futur
« Je propose maintenant, à chacune, de choisir un détail dans la nature, de l’encadrer, le dessiner, lui donner un nom et imaginer comment il est arrivé là, comment il se sent à cet endroit et où il va aller dans le futur, lance la formatrice. Puis, grâce à votre dessin et votre description, une autre personne va devoir retrouver ce détail. »
De quoi travailler l’observation, la communication, la créativité, la confiance en l’autre, comprendre les interrelations au sein de la nature, et tisser un fil entre le passé, le présent et l’avenir.
« Pour penser et imaginer le futur, c’est important de s’ancrer dans un lieu, de connaître son histoire », souligne Sarah Wauquiez, en sortant de son sac une photo très ancienne de l’étang de Virelles, à une époque où celui-ci – aujourd’hui réserve naturelle – était surexploité. « Ça permet aussi de relativiser, de comprendre qu’on est de passage », précise Emilie, formatrice à l’Aquascope.
Oser le risque
Mais quelles postures l’enseignant·e doit-elle adopter pour favoriser le développement de ces compétences chez l’enfant ? Pour le découvrir, les participantes sont invitées à se bander les yeux et à traverser une clairière, d’abord en marchant, puis en courant ! L’inquiétude et les tâtonnements font rapidement place aux éclats de rires. « Apprendre à prendre des risques favorise l’estime de soi, la résilience, le courage, la connaissance de ses capacités et de ses limites. C’est important de permettre à vos élèves de vivre ça », explique la Suissesse, avant de revenir sur les autres postures utiles (lire encadré ci-dessous).
Après cette explosion d’énergie, retour au calme.
Chacune se trouve un coin de nature pour se ressourcer et s’immerger, en pleine conscience. Elodie s’assied au pied d’un chêne et laisse le soleil et le vent caresser son visage. Profitons du présent, c’est un cadeau.
(1) Future Skills, S. Wauquiez, éd. BoD, 128p., 2023. (voir « S’outiller »)
(2) Pour en savoir plus, lire le dossier Dehors pour apprendre, Symbioses n°136
© Réseau IDée
Les postures du futur
Sarah Wauquiez s’est appuyée sur plusieurs recherches scientifiques et divers scénarios du futur (du plus optimiste au plus pessimiste) pour identifier une quinzaine de compétences d’avenir.
Voici les postures de l’adulte qui, selon elle, favorisent ces qualités chez l’enfant :
- Créer un climat de confiance et de bienveillance.
- Favoriser l’autonomie et l’auto-apprentissage.
- Encourager l’empathie et le respect.
- S’adapter aux propositions de l’environnement, savoir rebondir dessus et les enrichir.
- Apprendre à prendre des risques, pour mieux se connaître.
- Accompagner les enfants, observer, structurer, mais aussi s’impliquer, en faisant soi-même, en tant qu’adulte.
- Cultiver la joie d’apprendre.
- Offrir du temps et de l’espace pour s’immerger dans la nature et l’instant présent.
- Poser des questions ouvertes, reformuler, stimuler les échanges.
- Tisser des liens entre hier, aujourd’hui et demain ; et entre soi, les autres et l’environnement.
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