Premiers pas en plein air
Premiers pas en plein air
Décembre 2022, par Lucie Tesnière
Un article du magazine Symbioses n°136 : Dehors pour apprendre
Investir les espaces extérieurs avec des enfants entre 0 et 3 ans comporte des défis spécifiques liés à l’âge. Une directrice de crèche, une formatrice et des représentant·es de l’ONE partagent leur expérience en matière de petite enfance.
« Quand je suis arrivée à la crèche, le dehors ne faisait pas partie de la culture, se souvient Priscilia Ferreira, la directrice de la crèche L’ Arbre à cabanes, à Gosselies. Le côté sécuritaire primait. Jusqu’au jour où je suis allée en formation à Gand ». Dans la ville flamande, Priscilia Ferreira découvre une crèche aux vastes espaces extérieurs, dans lesquels jouent les bébés, entourés de puéricultrices. « En voyant ça, je me suis dit : c’est totalement possible d’emmener des tout petits dehors avec peu de moyens ! »
« On constate une explosion de la demande de formations en école du dehors. Il y a une évolution similaire du côté des crèches, mais dans une moindre mesure », souligne Vinciane Graulich, formatrice chez Éducation Environnement. Des crèches et jardins d’enfants où les bambins passent le plus clair de leur temps dehors, font presque toutes leurs siestes en plein air, sautent dans les flaques et jouent dans la nature, quelle que soit la saison, cela fait des décennies que cela existe au Danemark, en Allemagne, en Autriche et ailleurs. « Passer du temps dans la nature contribue à la bonne immunité d’un bébé, souligne Vinciane Graulich, cela améliore son appétit, son sommeil, contribue à la production de vitamine D essentielle à cet âge, renforce l’apaisement et le sentiment de sécurité. Une tradition indienne dit : “si ton bébé est inconsolable, sors-le à l’extérieur et place-le face au paysage, c’est le seul moyen de le calmer”. Le lien à la nature est essentiel pour les petits. C’est ce qui va leur permettre de prendre la nature en compte dans la construction de leur identité… »
Chez nous, l’école du dehors prend de l’ampleur en maternelle, mais reste plus timide pour les 0-3 ans. C’est dû, notamment, aux contraintes de sécurité plus importantes dans les milieux d’accueil de la petite enfance. « Pendant des années, ces lieux ont été aménagés uniquement en pensant à l’intérieur. Aujourd’hui, on prend de plus en plus en compte les extérieurs », constate Vinciane Graulich. Des lieux vivants, dans lesquels « les enfants sont stimulés par la nature et des propositions variées ».
Photo : Vinciane Graulich
Aménagement de l’extérieur
À la crèche de L'Arbre à cabanes, le dehors a été pensé par classe d’âge, et en s’inspirant de la brochure Vitamine V(erte) éditée par l’ONE (Office de la naissance et de l’enfance) et GoodPlanet Belgium (1). Pour chaque section, une référente « aménagement extérieur » a été désignée.
Pour les enfants de plus d’un an, il y a des espaces de jeux symboliques avec une cuisinière, un évier, des pneus peints pour s’asseoir, des petites maisons où se cacher, un bac à sable et des bacs pour plantes aromatiques. « On met des fleurs au début du printemps – même si on sait qu’elles vont parfois être arrachées. En crèche, c’est surtout le plaisir sensoriel de gratter la terre. » Une table à langer est aussi prévue en extérieur pour changer les enfants tout en restant près du groupe.
Photo : Vinciane Graulich
La crèche dans son environnement
À côté de la crèche L’ Arbre à cabanes, il y avait une belle allée avec des arbres. « En automne, on allait jouer dans les feuilles. On racontait des histoires sous les arbres. Ceux-ci apportaient de l’ombre lors des chaleurs estivales. » Beaucoup ont, malheureusement, été abattus pour laisser place à la nouvelle maison de repos. « Il n’y a pas eu de réflexion en amont pour intégrer les espaces extérieurs, alors que le site qui regroupe la crèche et la maison de repos s’appelle “un jardin pour tous”, déplore Priscilia Ferreira. Je pense qu’il y aura ce jardin intergénérationnel, mais il va falloir motiver les troupes. »
Vinciane Graulich confirme la nécessité d’une réflexion proactive sur l’intégration de la crèche dans son environnement : « En Allemagne, l’environnement extérieur des milieux d’accueil fait partie intégrante de la réflexion. En Belgique, il y a beaucoup de choses à faire pour que ce soit le cas. » « La campagne de l’ONE, qui est notre référentiel pédagogique, est un soutien, précise Priscilia Ferreira (lire encadré ci-dessous). Et le fait d’avoir des formations gratuites sur le dehors, par exemple, aide les employeurs que nous sommes. »
Photo : Christophe Dubois
Le risque acceptable
Une question qui revient particulièrement dans la formation Quand les tout-petits explorent le dehors, proposée par Education Environnement, est le thème du risque acceptable. « Est-ce qu’on accepte qu’un petit se pique à un rosier ou soit piqué par une abeille ? », interroge Vinciane Graulich. Pour Xavier Gossens, conseiller pédagogique à l’ONE, « LE message de la formation initiale en puériculture, c’est la tolérance zéro sur le risque, là où la recherche actuelle montre que le risque zéro n’existe pas ». Pour lui, la prise de risque est un enjeu institutionnel. « Ça n’est pas l’accueillant·e seul·e face à la situation : c’est l’ensemble de l’institution qui accepte la prise de risque. » A cet âge où les enfants mettent tout en bouche, rampent au sol ou grimpent sur tout, quelques dangers spécifiques doivent en effet être anticipés.
En matière de gestion de risques, Vinciane entend plusieurs sons de cloche lorsqu’elle donne des formations. « On me dit : “Les animaux sont totalement interdits dans les crèches !” », mais aussi : “L’ONE subsidie des crèches où il y a des poules”. » Elle conclut : « Il y a toutes sortes de règles et beaucoup contiennent une marge d’interprétation. Dans le doute, certaines puéricultrices préfèrent ne rien changer à leurs habitudes. » Vinciane Graulich espère qu’avec sa campagne, l’ONE va clarifier ce qui peut être fait ou pas. « Au final, c’est fort lié à la volonté des professionnel·les. Par moment, quelqu’un y croit à fond, prend ça sur ses épaules et alors c’est magique, ça fait avancer tout le monde. »
Contact : Vinciane Graulich - Education Environnement - vinciane@education-environnement.be
(1) Vitamine V(erte), La nature s’invite dans les espaces extérieurs des milieux d’accueil (0-6 ans), téléchargeable (pdf).
L’ONE fait campagne pour le dehors
La nouvelle campagne bisannuelle de sensibilisation de l’ONE, intitulée C’est dehors que ça se passe, a débuté en novembre 2022. Elle se base sur les résultats d’une étude sur la perception de l’investissement des espaces extérieurs par les enfants et les jeunes (2). « On voulait actualiser nos connaissances dans ce domaine, faire notre propre recherche scientifique, voir ce que l’ONE fait ou ne fait pas, ce qu’on pourrait améliorer dans notre communication, nos réglementations, nos messages institutionnels, précise Anne Baudaux, conseillère à la Direction Recherches et Développement de l’ONE, le but étant de devenir plus un levier qu’un frein. »
Concernant le dehors, c’est parfois plus l’anticipation des contraintes qui fait obstacle que l’expérimentation réelle.
« Cela nous a vraiment incités à travailler sur les représentations, à axer notre communication autour des bénéfices du dehors. Les institutions ont tendance à mettre en garde, mais il ne faut pas décourager. Un petit bobo, quand on va dehors, ce n’est pas grave, même si ce n’est pas simple pour l’encadrant·e, qui doit en rendre compte aux parents. »
Pour encourager l’investissement des espaces extérieurs, l’ONE a conçu des affiches à destination des familles, enfants et professionnel·les de la petite enfance, avec quelques messages clés très visuels (voir ci-contre):
- Ne pas attendre qu’il fasse beau pour sortir (représentation des 4 saisons)
- Le risque zéro n’existe pas (une petite fille fait le « cochon pendu » à un arbre)
- On peut sortir en milieu urbain et rural à tout âge (un ado en skateboard et un petit à quatre pattes)
- Certaines activités souvent associées à l’intérieur peuvent être pratiquées en extérieur (la lecture p.ex.)
- On peut se salir (une petite fille saute dans la boue)
L’ONE prévoit aussi l’organisation de plusieurs journées sur l’investissement des espaces extérieurs dans différentes régions de la Fédération Wallonie-Bruxelles.
Plus d’infos : www.one.be/public/cest-quoi-lone/nos-campagnes/cest-dehors-que-ca-se-passe/
Voir aussi les n° 34 et 45 de la revue Flash Accueil de l'ONE, téléchargeable.
(2) Perception de l’investissement de l’espace extérieur par les enfants et les jeunes et des risques liés à celui-ci. Analyse des représentations des parents et des professionnel·le·s, téléch.