Aller au contenu principal

Article Symbioses

Du déni à la résilience

Du déni à la résilience

Du déni à la résilience

Mai 2024, par Elie Wattelet, écopsychologue, co-coordinateur du Réseau d’écologie sensible et co-auteur de Reliance, Manuel de transition intérieure, éd. Actes Sud (voir p.32)
Un article du magazine Symbioses n°140 : Futur incertain - Anticiper et s’adapter


Comment faire face aux catastrophes écologiques en cours et à venir, s’adapter puis rebondir ? La résilience individuelle et communautaire est un processus complexe, aux facteurs nombreux. Mais elle peut être renforcée par des actions publiques, éducatives et associatives.

 


Un matin lumineux de septembre, je conduis mon enfant à l’école.

Après l’au revoir rituel, je papote quelques minutes avec une maman souvent croisée mais jamais réellement rencontrée. J’apprends au fil de la discussion qu’elle vit à Goyet, un village très touché par les inondations de juillet 2021. Elle et sa famille ont emménagé dans une maison rénovée quinze jours avant la déferlante d’eau et de boue du Samson. Elle avait accouché d’un troisième enfant quelques mois plus tôt. Je vous laisse imaginer l’intensité des mois qui ont suivi : travaux, enfants, assurances, construction d’un nouveau réseau… Plein d’empathie et de sollicitude, je lui demande naïvement : « Ah, et du coup, vous avez prévu quoi pour prévenir les prochaines inondations ? »

La bourde ! En quelques secondes, elle se referme et me répond que ce type d’inondations est très rare, qu’il est impossible pour elle d’envisager que cela puisse se reproduire. J’arrive à ne pas couper le lien et assez vite, la conversation glisse sur le manque d’actions politique pour prévenir et assurer le suivi de ces catastrophes… 

Le retour du déni

Assez vite aussi me revient ce que décrit Georges Marshall dans Le Syndrome de l’Autruche (1) : notre cerveau cherche à ignorer le changement climatique. Après une catastrophe naturelle, une partie des personnes touchées préféreront regarder l’épisode vécu comme exceptionnel plutôt que comme la conséquence logique des bouleversements climatiques, allant même, pour les cas les plus extrêmes, jusqu’à « éveiller » du climatoscepticisme. Contre-intuitif ? En réalité, c’est – comme toujours – complexe. Tout le monde ne réagit pas de la même façon. Pour une partie des personnes touchées, imaginer que les traumatismes vécus puissent se répéter, ou imaginer devoir quitter le lieu auquel elles sont attachées, est tellement violent que le déni se met en place.

Heureusement, cela n’est pas irréversible… Je pense à des ami·es qui, face au même genre de drame, ont développé d’autres stratégies, faites d’anticipation et d’adaptation. Cette famille réfléchit activement aux travaux à faire pour canaliser de prochaines inondations et éviter les dégâts. Pourquoi ? Car elle a une grande conscience des enjeux écologiques et a beaucoup lu sur les risques climatiques. Elle partage ces préoccupations avec ses proches et ses ami·es, avec lesquel·les elle noue un réseau d’entraide. Elle a sans doute les capacités de mobiliser les moyens (financiers ou humains) pour faire des travaux. Je sais également qu’elle cultive aussi une spiritualité au quotidien qui l’aide à garder une lucidité sur l’avenir tout en lui donnant du sens. Autant de facteurs de résilience mis en avant par la littérature scientifique. Quels sont les autres ? Pouvons-nous, en tant qu’acteurs et actrices de l’Éducation relative à l’Environnement (ErE), souvent implanté·es sur un territoire, les renforcer ? 

La résilience et ce qui la soutient

Avant tout, rappelons ce qu’est la résilience. « La résilience est, pour le dire simplement, la capacité des individus et des communautés à faire face et à s’adapter à des bouleversements graves et à des événements traumatiques. Elle est induite par des facteurs internes et externes. Elle ne peut se réduire à des caractéristiques personnelles, car elle est le résultat d’un processus multifactoriel. Elle est tributaire d’interactions entre les dimensions individuelles, affectives, contextuelles et environnementales qui évoluent dans le temps. » (2)

Les facteurs clés de résilience individuelle et communautaire

Lire plus

Bref… c’est complexe ! Il ne s’agit pas d’accepter la catastrophe, mais de réduire son impact et de rebondir. Danielle Maltais est docteure en sciences sociales et spécialisée en « Événements traumatiques, santé mentale et résilience » à l’université du Québec à Chicoutimi. Elle a résumé dans un livre collectif (3) les facteurs clés de résilience individuelle et communautaire (lire ci-dessous).

La pluralité des facteurs montre que la résilience n’est pas qu’affaire de personnalité, de traits individuels ou communautaires figés. C’est un processus, une sorte de « magie ordinaire », qui peut néanmoins être renforcé avant, pendant et après les chocs, grâce à des stratégies de soutien adéquates.

Quels peuvent être nos rôles dans ces stratégies ?

Selon Danielle Maltais au Québec et la sociologue Aline Thiry (4) en Belgique, les acteurs locaux et territoriaux sont essentiels pour renforcer la résilience. En amont d’une catastrophe, les connaissances, notamment environnementales et sociales, peuvent être précieuses pour aider à la prévention et la sensibilisation. Prenons l’exemple des feux de forêts. En partenariat avec les agents forestiers, nous pouvons repérer les zones où la terre est la plus sèche, où les arbres manquent le plus d’eau, observer les comportements anticipateurs des animaux… et faire remonter ces infos. Mais aussi préparer des réseaux de personnes mobilisables en cas de feu, repérer les habitant·es isolé·es ayant des jardins proches des zones à risques et leur proposer une aide préventive… A toutes les étapes, la participation citoyenne et la coopération sont essentielles. Pendant la catastrophe, les stratégies d’aide sont spontanées mais gagnent en efficacité et en durée si elles sont facilitées par des groupes ou associations existants, surtout si ces dernières se coordonnent entre elles et avec les services professionnels. Cette coordination permet d’éviter de nombreuses pertes d’énergie, la circulation de mauvaises informations, des prises de risques individuelles déraisonnables…

En amont, nous pouvons solliciter les politiques locaux pour créer des espaces de participation citoyenne où seront discutés les risques spécifiques liés au territoire et les meilleures manières de s’y préparer collectivement. En aval, co-décider des réparations, de ce qui va embellir et donner du sens aux zones dévastées, du travail de mémoire collective essentiel à la réparation de la communauté…

A chaque étape, l’implication des personnes les plus marginalisées est cruciale, pas uniquement pour mieux les soutenir mais, comme le montrent les études relayées par Danielle Maltais, parce que leur participation augmente la pertinence des décisions prises.

Et si cela concernait aussi la prise en compte de la voix des non-humains ? Sacrés chantiers, dans lesquels les acteurs et actrices de l’ErE ont un rôle à jouer.

Enfin, soulignons l’importance d’avoir des lieux pour se réunir, que ce soit en cercles de paroles dédiés au partage des vécus ou simplement pour manger, jouer, replanter des arbres… Tous les moments qui permettent à la parole de circuler sont essentiels au travail de cicatrisation. Si nous décidons de jouer un rôle clé pour cette partie plus psychologique de la résilience, il est bon de se souvenir que chaque personne réagit différemment, en fonction de son histoire personnelle, de ses appuis, de son attachement à ce qui a été perdu… et que se sentir jugé·e sur ses réactions peut réactiver le trauma, alors que se sentir accueilli·e dans sa singularité peut atténuer la douleur de la perte.


(1) G. Marshall, Le Syndrome de l'autruche. Pourquoi notre cerveau veut ignorer le changement climatique, Actes Sud, 2017.
(2) M.M Egger, T. Grosjean, E. Wattelet, Reliance, Manuel de transition intérieure, 2023, Actes Sud, p 414.
(3) Sous la direction de D. Maltais et C. Larin, Lac-Mégantic : de la tragédie… à la résilience, Presses de l'Université du Québec, 2016.
(4) Aline Thiry, spécialisée en culture du risque, a travaillé sur les stratégies de gestion de crise suite aux inondations de 2021. M. Tieleman, C. Glesner, A. Thiry & C. Fallon, Développer la culture du risque face aux extrêmes pluviométriques en Euregio, Rapport de recherche Marhetak, 2023. 

 

Photo : Annick Parotte

Photo : Annick Parotte
Pepinster, le 21 juillet 2021. La série de portraits “Toujours debout!” d’Annick Parotte rend hommage aux sinistrés et aux élans de solidarité que les inondations ont engendrés.

 

Articles associés pouvant vous intéresser