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Article Symbioses

En avant, marche !

En avant, marche !

En avant, marche !

Septembre 2021, par Sophie Lebrun
Un article du magazine Symbioses n°131 : Mobilité - (ap)prendre d’autres habitudes


Les piétons se mobilisent et se fédèrent pour faire entendre leur voix et promouvoir la marche, un mode de déplacement durable, sain et peu coûteux.


 


7 juin 2021. Quelques dizaines de citoyen·nes, la plupart issu·es du monde associatif, marchent sur la capitale. En petits groupes. Sans tambour ni trompette. Mais bien décidé·es à faire entendre une voix : celle des piéton·nes, des marcheurs et marcheuses. Leur stratégie : rassembler leurs énergies et leurs savoir-faire au sein d’un réseau, baptisé Walk. Objectif : promouvoir une dynamique piétonne en région bruxelloise. Après tout, la marche y est le premier mode de déplacement (35% des trajets intra-bruxellois sont effectués à pied (1)).

Menant sa petite troupe au départ du quartier européen, Pierre-Jean Bertrand, fervent marcheur, ex-expert piéton à Bruxelles Mobilité et membre du CA de Walk, attire l’attention sur les ruelles, venelles et parcs, « toutes ces opportunités de relier les voiries pour créer un réseau piéton maillé convenablement. Des bénévoles les recensent, avec l’association Trage Wegen, et créent des cartes de cheminement piéton. » Il pointe aussi le Plan régional de mobilité 2020-2030 (2) qui prévoit, pour la première fois, un réseau structurant piéton « établi commune par commune avec la  participation de citoyens » et sept « magistrales ». A savoir de grands itinéraires piétons continus reliant le piétonnier du centre de Bruxelles à des pôles importants (gare, etc.), sortes de trottoirs extra larges (5 m). « La géographe suisse Sonia Lavadinho (3) parle de théorie du blabla : un cheminement suffisamment large et adapté pour qu’on puisse parler sans s’interrompre, sans devoir être tout le temps attentif à des obstacles. » En y intégrant aussi des bancs, des espaces de séjour (d’activité), des interventions artistiques, botaniques et ludiques. « De quoi donner l’envie de marcher. »

Bon, il y a encore du chemin à parcourir pour offrir ne fût-ce qu’un parcours sécurisé : ici on pointe un parking vélo mal placé (à l’entrée d’un passage pour piétons), là une bordure trop haute, un trottoir obstrué...

Les plus nombreux mais les moins visibles

Une demi-heure plus tard, la plateforme Walk est inaugurée au Mont des Arts. Initiée par les asbl Trage Wegen et Tous à Pied avec le soutien de Bruxelles Mobilité, elle s'appuie sur un manifeste, déjà signé par un trentaine d’acteurs : des associations, mouvements citoyens et bureaux d’études, actifs dans la mobilité, l’éducation à l’environnement, la sécurité routière, l’urbanisme durable, l’accessibilité des PMR ou encore la randonnée.

Emilie Herssens, coordinatrice de Walk, pointe deux grands enjeux : « l’infrastructure mais aussi la culture de la marche. On voudrait créer une émulation, une fierté d’être piéton. Beaucoup de citoyens n’ont pas vraiment conscience d’être piétons, tant c’est une évidence sans doute – tout comme les avantages de la marche : non polluante, silencieuse, bonne pour la santé physique et mentale, créatrice de lien social, mode de transport le moins coûteux. » « Le piéton souffre d’un déficit d’iden-tification, appuie Dimitri Piron, chargé de mission à l’asbl Tous à Pied. Les autres modes de transport, eux, sont liés à un objet (le vélo, la moto, l’auto...) et à des aménagements spécifiques bien visibles, à des parkings, etc. On observe une réelle prise de conscience de l’importance de la marche sur tous les fronts, qu’elle soit utilitaire ou de loisir, en milieu urbain ou rural, constate-t-il, mais, dans le même temps, un besoin de représentation des piétons. » (4)

Des piétons en tous genres

iéton·ne, on l’est toutes et tous, rappelle Dimitri Piron, « même si c’est juste pour marcher 10 ou 100 mètres de chez soi à sa voiture, ou 5 minutes jusqu’à l’arrêt de bus ou la boulangerie ». Soit dit en passant, ces petits (mais nombreux) déplacements à pied sont rarement intégrés dans les statistiques de mobilité (5). Autres écueils : le vélo et la marche n’y sont pas toujours traités distinctement (au moins utilise-t-on de plus en plus, à leur sujet, le terme « modes actifs » au lieu de « modes doux ») et la marche inclut parfois le jogging.

Mais piéton·ne, on l’est à vitesse et à besoins variables, comme le rappellent les associations ciblant des publics spécifiques, telles les personnes à mobilité réduite (qu’elles le soient en raison d’un handicap, de l’âge ou d’une poussette). Or, « les adaptations nécessaires aux PMR profitent à tous les piétons : abaissement de bordure, trottoir large, revêtement confortable... » souligne Alexandra Dusausoy, conseillère au bureau Atingo. Autre public spécifique : les femmes, davantage concernées par le sentiment d’insécurité, rappelle l’asbl Garance (voir Adresses utiles pp.20-21). Piéton, mais plus encore piétonne, on l’est moins volontiers le soir, dans certaines rues, quand on est seul·e...

Autre constat : piéton·ne au quotidien, on l’est très souvent quand on est étudiant·e (85,8% marchent tous les jours en Wallonie (6)), beaucoup moins une fois lancé·e dans la vie active (43,4%).

Faire marcher les gens – au sens propre

Alors, comment encourager à rester ou devenir (un peu, beaucoup, passionnément) piéton·ne ?

D’une part, en agissant sur les infrastructures : piétonnisation, sécurisation et amélioration de l’espace public, multiplication de zones 20 et 30, etc. Petit à petit, le principe STOP fait son chemin dans les Plans de mobilité aux différents niveaux de pouvoir, observe Dimitri Piron. Ce principe inverse les habitudes en donnant priorité, dans l’ordre, à la marche (les  les piéton·nes se retrouvent donc au centre de l’attention), au vélo, aux transports en commun, puis seulement aux voitures (7). Les Plans régionaux prévoient d’ailleurs d’augmenter la part de la marche, et les budgets piétons sont en hausse. Mais « pour un résultat optimal, ils devraient s’accompagner de mesures de formation des personnes qui dessinent et aménagent l’espace public ».

Il faudrait, en outre, mieux informer les citoyen·nes sur les itinéraires piétons, via un balisage spécifique (avec temps de déplacement, plus parlant que le kilométrage) et des applis pour smartphone efficaces.

Un travail de sensibilisation et d’éducation est aussi nécessaire. Et là, rien de tel que « l’expérimentation sur le terrain : faire marcher les gens, constate Dimitri Piron. Les arguments théoriques et la culpabilisation (si on ne marche pas, on ne sera pas en bonne santé, on polluera avec sa voiture, etc.), les gens en ont un peu marre... » Entre autres activités, Tous à Pied organise, dans les communes, des marches exploratoires. A la fois pour faire découvrir aux citoyen·nes leur vill(ag)e, leurs espaces et les sentiers « d’une autre manière », et pour recueillir leur expérience et leurs besoins en matière de « marchabilité ».

« Le piéton ne cherche pas nécessairement l’itinéraire le plus rapide, parfois il préfère faire un petit détour par une rue où il y a un parc ou une boulangerie », note Dimitri Piron. A propos de temps, marcher peut permettre d’en gagner : « En marchant, on se rend compte qu’il y a un vétérinaire tout près de chez nous (on ne voyait que celui qui était sur le trajet domicile-travail) ; qu’on a déjà fait une activité physique et qu’on n’a plus besoin de consacrer du temps et de l’argent à du sport supplémentaire ; que les liens se créent facilement et qu’un voisin pourra nous donner tel coup de main... »

Enfin, le développement de la marche comme mode de déplacement implique de favoriser le dialogue entre les différents usager·es (piéton·nes, cyclistes, automobilistes...), « apprendre à comprendre la réalité de l’autre », privilégier une vision transversale. L’espace public, de plus en plus saturé, devrait être « mieux partagé, moins cloisonné » à l’avenir, observe Dimitri Piron.

Infos : www.walk.brussels et www.tousapied.be


(1) Enquête Monitor sur la mobilité des Belges, SPF Mobilité et Transports, 2019.
(2) Good Move, à consulter sur www.mobilite-mobiliteit.brussels. Pour le plan wallon FAST : www.mobilite.wallonie.be
(3) Lire l’entretien La marche est le ciment de la ville (www.lemonde.fr, 26/03/2019).
(4) C’est ce qui a poussé l’asbl Sentiers.be, axé sur la défense des chemins et sentiers publics et ancré en Wallonie, à se rebaptiser Tous à Pied et à élargir son champ d’action à la culture de la marche et à la région bruxelloise.
(5) Par exemple l’enquête MOBWAL 2017, dans laquelle 43,7% des Wallon·nes disent marcher tous les jours, et 14,1% jamais : la question ne portait que sur les déplacements à̀ pied d’au moins dix minutes. Or « un déplacement à pied sur deux dure moins de dix minutes », relève le dossier de la CéMathèque N°39 dédié à la marche (SPW, 2014).
(6) Cf. supra, MOBWAL.
(7) L’acronyme STOP vient du néerlandais : stapper, trapper, openbaar vervoer, privévervoer.

 

Symbioses 131

Photo : walk.brussels

 

Symbioses 131

Photo : walk.brussels

 

Les enfants, acteurs à part entière

Comment motiver les enfants à se déplacer à pied ? Et cela, alors qu’ils marchent de moins en moins au fil des décennies, comme l’observent les acteurs de la mobilité et de l’éducation (8). Gaëlle Cassoth (Tous à Pied), qui anime des projets dans les écoles, livre quelques pistes sur ce qui « marche ».

« Il faut qu’ils soient acteurs dans le projet, que leurs propositions de solutions soient entendues, relayées auprès des pouvoirs publics, qu’ils soient considérés comme des citoyens à part entière. Les enfants n’ont pas les mêmes sensations sur le terrain, les mêmes habitudes et la même vision de la (l’in)sécurité que les adultes », poursuit-elle. Un autre adjuvant est l’émulation : « voir que des copains marchent aussi, et participer à des défis et à des concours entre classes. »

Mais encore ? « Aborder la théorie de façon ludique, et la mettre en pratique sur le terrain » : c’est cette voie que privilégie le projet Le code du p’tit piéton proposé par Tous à Pied (9). Mine de rien, « les enfants y acquièrent des notions et gestes concrets qui leur seront utiles toute leur vie ». Ils apprennent à prendre leur place dans la rue et l’espace public, et gagnent en responsabilités et en autonomie.


(8) Un des facteurs en cause est la réticence des parents à laisser leur enfant circuler seul, pointe Tous à Pied dans l’article Nos enfants ont-ils perdu le droit de jouer et de se déplacer librement ? (déc. 2020, www.tousapied.be > articles).
(9) Pour les classes de 3e à 6e primaires en Wallonie. Voir aussi les Brevets du piéton (1e et 4e primaires) organisés par GoodPlanet.

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