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Article Symbioses

Comprendre les risques et se préparer, à l’échelle (micro-)locale

Comprendre les risques et se préparer, à l’échelle (micro-)locale

Comprendre les risques et se préparer, à l’échelle (micro-)locale

Décembre 2021, par Sophie Lebrun
Un article du magazine Symbioses n°132 : Inondations


Mené par le Contrat de rivière Escaut-Lys, le projet-pilote Culture du risque inondation implique directement les citoyen·nes, pour réduire les impacts des inondations.

 


« De quoi a-t-on parlé lors de la première animation ? » La classe de 4e-5e-6e primaire de l’école Saint-Joseph d’Esplechin, village tournaisien, énumère les thèmes abordés : les dérèglements climatiques, les gaz à effet de serre, les précipitations, la sécheresse. « Et quand le sol est trop sec, trop dur, il ne peut pas absorber l’eau »,précise une élève. Justement, « aujourd’hui, on va parler des inondations », annoncent Martin Frens et Sarah Vande Walle, du Contrat de rivière Escaut-Lys (lire ci-dessous). C’est parti pour une heure trente d’animation. Le phénomène est abordé sous divers angles : les différents types d’inondations, les causes, le phénomène naturel qu’elles constituent (« La rivière vit, elle respire et a besoin d’espace, d’aller dans son lit majeur quand il pleut beaucoup. Le souci, c’est que l’homme s’y est installé à certains endroits », explique Martin Frens). Mais aussi les dégâts occasionnés, les comportements à adopter en cas d’inondation, les travaux publics et les aménagements individuels permettant d’en réduire les impacts...

La méthode est simple, à savoir des échanges avec les élèves, au départ de questions et de photos, ancrées dans le vécu local. « C’est un projet-pilote, précisent l’animateur et l’animatrice, on va encore l’adapter en fonction des retours et y intégrer d’autres supports, comme une maquette de bassin versant. »

« Les riverains ont aussi leur rôle à jouer »

Cette animation en trois volets, donnée dans quelques écoles, n’est qu’une facette du projet-pilote Culture du risque inondations coordonné par le Contrat de rivière Escaut-Lys. Financé par la Région wallonne, il trouve sa source dans les inondations et coulées de boue qu’a connues la région de Tournai en 2016. « Le Contrat de rivière a alors organisé une réunion avec des riverains, puis un groupe de travail avec différents acteurs concernés par l’eau. Ils ont fixé un objectif : réduire la vulnérabilité des riverains face aux inondations en les y impliquant et en les sensibilisant, explique Martin Frens, qui a été engagé pour ce projet. Son leitmotiv : « Des inondations, il y en aura encore. Le mieux c’est de s’y préparer. A côté des pouvoirs publics qui doivent investir dans des aménagements collectifs, les riverains ont aussi leur rôle à jouer. »

Sur le terrain, chez l’habitant·e

Lancé en 2019, le projet va être reconduit pour deux ans. Il couvre des zones ciblées du sous-bassin de l’Escaut, dont la vallée du Rieu de Barges, et se déploie sur trois axes. Une mission de conseil (gratuit) aux riverain·es, tout d’abord. « Nous les aidons à protéger leur habitation. Je me rends chez l’habitant, d’abord pour une visite, une analyse permettant d’établir un diagnostic de vulnérabilité, ensuite pour lui remettre un rapport de recommandations. » Celui-ci suggère, d’une part, des travaux à effectuer dans et autour du logement. Par exemple l’installation d’un clapet anti-retour sur l’égouttage, de batardeaux (sur les portes et fenêtres) et autres barrières anti-inondations, la création d’une petite digue ou d’un petit fossé, la condamnation d’une porte, l’information sur des systèmes d’alerte (reliés à des sondes sur certains cours d’eau) via leur téléphone... « Certaines choses ne sont pas compliquées ni coûteuses. En outre, pour des aménagements qui intéressent plusieurs riverains, comme la pose de fascines en paille (contre les coulées de boue) ou des plantations de haie, nous organisons parfois un chantier participatif », poursuit Martin Frens. Le conseil porte également sur les matériaux et orientations à privilégier lors de travaux : « des enduits à la chaux plutôt que des plaques de plâtre, du carrelage plutôt que du parquet, des prises de courant en hauteur... ». Et, bien sûr, sur l’aménagement même de l’habitat : rehausser les meubles, ranger les documents importants aux étages, y installer aussi le congélateur, etc.

Entretenir la mémoire du risque

Par ailleurs, « le projet-pilote vise à stimuler la mémoire et plus largement la culture du risque, à apprendre à vivre avec le risque », par le biais d’animations et d’actions de sensibilisation, ainsi que par la pose de repères de crue. Martin Frens en est convaincu :  « la prise de conscience, la connaissance et la compréhension des inondations et du risque permettent de réduire l’anxiété – ou le déni – qu’ils peuvent engendrer. »

En informant les citoyen·nes, on démonte également des idées fausses. « On a donné une animation “mythe et réalité” où l’on a amené les riverains à la découverte du cours d’eau et du bassin versant, sur le terrain. Parce que les gens racontaient qu’il y avait d'énormes bassins à la frontière, et que les Français ouvraient des vannes quand il y avait trop d’eau, ce qui inondait la Belgique. » La notion de bassin versant, notamment, n’est pas claire, pour de nombreux citoyen·nes, constate Martin Frens. « Quand les inondations ont commencé du côté de la Vesdre et de la Meuse, en juillet, des gens m’ont demandé si cela pouvait remonter jusqu’à l’Escaut. »

Relais local

Enfin, le Contrat de rivière joue le rôle de relais local entre la commune et les riverain·es (« les personnes qui ont été inondées se sentent souvent délaissées »). Cela, dans les deux sens : en faisant remonter des constats et demandes du terrain vers les autorités, et en expliquant aux habitant·es les travaux publics effectués pour lutter contre les inondations. Il encourage les riverain·es à participer au processus, en s’impliquant dans des réseaux d’urgence locaux. « Par exemple, ils pourraient être habilités, quand l’eau monte et sur ordre de police, à fermer une voirie au moyen de barrières nadar stockées chez eux. »

Bientôt dans d’autres vallées ?

Ces différentes missions de proximité et de terrain s’avèrent précieuses pour les autorités régionales et locales (lire ci-dessous).

D’autres Contrats de rivière de Wallonie observent aussi avec intérêt – et plus encore depuis juillet – le projet-pilote mené par leur confrère hennuyer, car il pourrait essaimer dans d’autres bassins versants.

En tout cas, l’animation fait mouche auprès des élèves d’Esplechin (« on a appris plein de choses ! ») et de leur instituteur, monsieur Maxime, qui sensibilise régulièrement sa classe au réchauffement climatique. « Le thème des inondations ouvre des portes », observe-t-il. En témoigne son cahier fraîchement annoté : « revoir le cycle de l’eau et le bassin versant, parler de l’urbanisation, réaliser des exercices de grandeurs sur base de mesures de température et de pluviométrie... ». La pluviosité, justement, facteur important du phénomène d’inondation, est au menu du troisième rendez-vous que fixe le Contrat de rivière à la classe. Au programme : la distinction météo/climat et l’installation d’une station météo dans l’école.

Infos : www.crescautlys.be - 069 44 45 61

 

Symbioses 132 Inondations

Photos: Sophie Lebrun

Symbioses 132 Inondations

Le Contrat de rivière, une table-ronde

Il existe 14 Contrats de rivière en Wallonie, subsidiés à 70% par la Région wallonne. Le Contrat de rivière est une association qui met autour d'une même table les différents acteurs de la vallée au sein d’un sous-bassin hydrographique : riverain·es, gestionnaires de cours d’eau (Région wallonne, provinces, communes), pêcheurs, infrastructures touristiques, défenseurs de l'environ- nement, écoles, agriculteurs, etc. Ce large Comité de rivière permet de définir consensuellement un programme d'actions pour préserver, restaurer et valoriser les cours d'eau, leurs abords et les ressources en eau. Chaque Contrat de rivière comprend une cellule permanente (2 à 6 personnes) qui coordonne le Comité de rivière et réalise diverses actions : inventaires des atteintes aux cours d’eau (pollutions, entraves, plantes invasives...) sensibilisation, chantiers participatifs, balades... (lire l'article Au chevet des rivières et les Adresses utiles).


Chacun·e fait sa part

« Le service proposé par Martin, qui aide les habitants à se protéger à l’échelle de leur maison, est très utile », applaudit Caroline Mitri, échevine de l'Environnement et de la Ruralité à Tournai – et présidente du CA du Contrat de rivière Escaut-Lys. « La commune de Tournai, qui connaît de fréquentes inondations, présente la particularité d’être très étendue et très rurale (214 km2, 29 villages, 250 exploitations agricoles). Les services communaux ne pourraient pas assurer un tel service de proximité. Le projet-pilote mené par le Contrat de rivière est vraiment complémentaire aux actions de plus grande ampleur sur lesquels se concentrent la commune, la Province et la Région », poursuit l’échevine, comme les récents aménagements de zones d’immersion temporaire et de dédoublement du Rieu de Barges. « Martin se rend chez l’habitant, il a un contact direct avec les citoyens, il les mobilise. Et cela peut encourager, par exemple, un agriculteur à agir contre les inondations, à son niveau. Il voit que les citoyens mettent la main à la pâte, ainsi que la commune. Chacun fait sa part. Le risque zéro d’inondation n’existe pas, malgré les aménagements qu’on réalise. Il y aura encore de fortes pluies, et l’aménagement du territoire n’a pas été pensé pour y faire face au départ. »

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