Quand le bruit nuit à la santé
Juin 2025, par Céline Teret / Question Santé asbl
Un article du magazine Symbioses n°144 : Environnement sonore - tendez l'oreille
Au palmarès des facteurs environnementaux à l’origine de problèmes de santé, le bruit se place en seconde position (juste après la pollution de l’air). Liées à l’activité humaine, ces nuisances sonores causent des lésions auditives, des maladies cardiovasculaires, des troubles du sommeil et cognitifs. Elles impactent aussi la santé mentale. Tour des enjeux et des pistes possibles.
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Le bruit, cet ensemble de sons peu harmonieux, produit une sensation auditive considérée comme désagréable, gênante, non désirée. Si le bruit est mesurable, sa perception est une sensation individuelle et subjective : chaque personne possède sa propre perception du bruit liée au contexte, à son histoire personnelle et culturelle. Lorsqu’il présente des effets néfastes pour la santé humaine, le bruit est nuisible. On parle alors de nuisances sonores ou de pollution sonore.
De l’audition à la santé mentale
Parmi les effets néfastes du bruit sur la santé et le bien-être, il y a ceux qui semblent aller de soi, à savoir les lésions auditives. Le bruit peut endommager les cellules ciliées de l’oreille, cette destruction engendrant des troubles auditifs irréversibles, voire des risques de surdité définitive. Le danger de l’exposition au bruit dépend du niveau sonore et de la durée d’exposition. Jusqu’à 75 dB, pas de danger pour l’audition. Plus le niveau sonore et la durée d’écoute augmentent, plus les risques sont importants (lire encadré ci-dessous).
Il y a aussi les impacts qu’on soupçonne un peu moins, comme l’hypertension, les maladies cardiovasculaires et les risques d’infarctus. Ou encore, les troubles du sommeil et leurs répercussions sur la santé physique et mentale. Les nuisances sonores peuvent également occasionner une gêne, causant ou accentuant des troubles anxieux ou dépressifs, ou engendrer des problèmes cognitifs (déficits de mémoire, troubles de l’attention et de la concentration...). Plusieurs études montrent d’ailleurs combien les effets du bruit à l’école ont des conséquences néfastes sur les apprentissages des enfants et sur la santé et le bien-être, tant des élèves que des équipes éducatives.
Aux sources du bruit
Trafic, industrie, loisirs, voisinage… Les sources de nuisances sonores générées par l’activité humaine sont multiples et situées en différents endroits (espace public, lieu de travail, domicile…). La source principale de pollution sonore, ce sont les transports, trafic routier en tête.
En Wallonie, une enquête citoyenne sur la perception de l’environnement sonore réalisée par Canopea montre entre autres que 56,7 % des 1289 personnes sondées sont à la fois insatisfaites de leur environnement sonore et gênées par le bruit. Le trafic routier (voitures, camions, moto) y est identifié comme source de bruit principale. Viennent ensuite le trafic aérien et, dans une moindre mesure, les comportements de particuliers (bruits du voisinage, enfants dans la rue, écoles, travaux domestiques…) ou encore le bruit issu de chantiers.
De nouvelles habitudes d’écoute
Avec le développement des technologies, de nouvelles habitudes d’écoute se sont installées, casque vissé sur les oreilles. Non sans conséquences sur la santé auditive. Selon l’OMS, plus d’un milliard de personnes âgées de 12 à 35 ans risquent de souffrir de déficience auditive du fait d’une exposition prolongée et excessive à de la musique forte et d’autres sons récréatifs, lors de l’utilisation d’appareils audio personnels (lecteurs MP3, smartphones) ou dans certains lieux (boîtes de nuit, bars, concerts…).
Impact collatéral de ces habitudes d’écoute : les personnes, à pied, vélo ou trottinette, qui écoutent de la musique au casque sont plus lentes à identifier les dangers potentiels de la route, mettant donc leur vie en danger. Et d’un point de vue plus philosophique, on pourrait aussi s’interroger sur la création de ces « bulles sonores », comme autant de zones de repli et d’individualisation…
Inégaux face au bruit
En Europe, 20 % de la population, soit plus de 100 millions de personnes sont exposées à des niveaux de bruit de longue durée néfastes pour leur santé. Si on peut toutes et tous en être impacté·es, nous ne sommes néanmoins pas égaux face au bruit : certaines personnes évoluent dans un environnement sonore bien plus bruyant que d’autres. Question Santé le soulignait déjà, il y a près de vingt ans, dans une exposition consacrée à la pollution par le bruit : les populations qui vivent et/ou travaillent dans les conditions plus précaires sont celles qui se retrouvent le plus à proximité des sources de nuisances sonores, sans pouvoir aller ailleurs. Les logements moins chers sont situés à proximité du trafic routier, ferroviaire ou aérien, les travaux d’isolation acoustique onéreux... Bref, le calme est un luxe auquel tout le monde n’a pas accès (ne dit-on pas que le silence est d’or ?). Qui plus est, et comme pour d’autres pollutions, les populations qui subissent le bruit au quotidien ne sont pas pour autant celles qui le produisent (ne prenant pas ou peu l’avion, n’ayant pas de voiture ou de pelouse à tondre).
Leviers d’action
Comme pour la plupart des enjeux environnementaux et de santé, les pistes d’action pour prévenir et lutter contre le bruit sont à aller puiser à différents niveaux, individuels, collectifs, politiques.
Quelques comportements parmi d’autres peuvent être privilégiés à l’échelle individuelle : opter pour des habitudes d’écoute plus douces pour nos oreilles, en baissant le volume de nos appareils ; adopter des gestes préventifs en utilisant des bouchons d’oreilles ou un casque anti-bruit ou limiter le temps passé dans des endroits bruyants ; offrir à nos oreilles des « pauses-silence »…
Au niveau collectif, outre certaines réglementations visant à protéger les travailleurs et travailleuses du bruit, des actions peuvent être mises en place sur le lieu de travail. On pense par exemple aux écoles qui développent des projets visant à améliorer l’environnement sonore, avec la participation de l’ensemble de la communauté scolaire.
Les nuisances sonores, c’est aussi un problème politique. Se pose la question du rôle que peuvent jouer les pouvoirs publics. A différents niveaux de pouvoir, européen, fédéral, régional, des législations existent en matière de prévention, de gestion et de lutte contre le bruit. Néanmoins, la lutte contre la pollution sonore passe aussi par des choix politiques, par exemple en termes de mobilité ou de normes acoustiques des bâtiments.
D’autant que le bruit a un coût. En effet, les mesures de compensation (mur anti-bruit sur les autoroutes, délocalisation des ménages impactés…) coûtent davantage à la collectivité que les actions de prévention qui pourraient être mises en place (147 milliards d’euros de coût annuel sociétal du bruit en France, selon l’ADEME).
L’OMS recommande aussi aux autorités gouverne-mentales la mise en place de campagnes de sensibilisation. A ce sujet, l’enquête citoyenne sur la perception de l’environnement sonore en Wallonie révélait d’ailleurs qu’en termes de sensibilisation, seuls 53 % des personnes sondées estiment avoir déjà été sensibilisés aux conséquences sanitaires liées au bruit.
Le bruit et ses nuisances touchent donc à des enjeux de santé publique et de justice sociale. Plaidant pour un droit au répit auditif pour toutes et tous, Juliette Volcler, chercheuse indépendante et autrice de l’ouvrage L’orchestration du quotidien (voir ici), évoque une « écologie sonore radicale » à bâtir, impliquant « une prise en charge démocratique de l’espace public sonore comme un bien commun ».
A méditer en silence ou à clamer haut et fort !
Ces sons de la nature qui nous font du bien
Chants d’oiseaux, ruissellement de l’eau, pluie, vagues… Certains sons provenant de la nature ont un impact positif sur la santé et le bien-être.
Les sons de la nature nous font du bien et de plus en plus de travaux scientifiques s’y intéressent. Des chercheurs et chercheuses de l’Université de Carleton (Ottawa, Canada) ont récemment publié une large étude sur les bénéfices d’un environnement acoustique naturel. Parmi leurs conclusions : l’écoute prolongée de sons de la nature diminue la douleur et le stress, améliore l’humeur et les performances cognitives et prévient l’apparition de maladies. Selon cette étude, les sons qui font le plus de bien sont ceux de l’eau et les chants d’oiseaux. L’hypothèse avancée pour expliquer ces effets bénéfiques : un environnement acoustique pourvu de sons naturels serait l’indicateur d’un environnement sûr, permettant un repos psychique.
L’impact positif des mélodies d’oiseaux sur la santé mentale a été documenté dans d’autres travaux. Interviewé par le journal Libération, l’ornithologue Philippe J. Dubois évoque une étude soulignant que « regarder et écouter les oiseaux durant une quarantaine de minutes permet de se sentir mieux pendant plusieurs jours. Une autre indique que six minutes de concert d’oiseaux suffisent à améliorer le bien-être des gens anxieux. » La naturaliste Elise Rousseau pointe quant à elle que « de plus en plus de travaux scientifiques démontrent que le bien-être que nous ressentons lorsque nous allons dans la nature n’est pas une simple impression. Cela a de réels effets bénéfiques sur notre santé, sur le taux de cortisol (l’hormone du stress), l’hypertension, les maladies cardiovasculaires… D’ailleurs, les méditations guidées que l’on trouve sur Internet sont souvent accompagnées de sons de la nature, surtout de chants d’oiseaux. » Si ces imitations de sons naturels abondent, elles n’offrent probablement pas le même bénéfice qu’une réelle immersion dans la nature. La naturaliste invite d’ailleurs à « réapprendre le silence, l’écoute, l’observation, la patience, la discrétion, l’humilité » dans la nature, à « affiner nos sens et nous faire du bien ».
D’autres travaux mettent également en avant les vertus du silence sur le stress, les capacités cognitives et la créativité. Encore faut-il parvenir à trouver des espaces où le silence règne…
Illu : @OMS « Ecouter sans risque »
Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), une exposition prolongée à un bruit inférieur à 80 dB ne causera pas de lésion auditive. Mais si cette limite est dépassée, il existe un risque, et plus le temps d’écoute est long, plus le risque augmente. Ainsi, à partir d’une exposition à un niveau de 70 dB (une salle de classe bruyante, par exemple) pendant plusieurs heures, des signes de fatigue auditive peuvent apparaître. En cas d’exposition chronique à des niveaux atteignant ou excédant 80 dB (une rue à fort trafic, une tondeuse) pendant 8 heures, les dangers pour l’audition sont avérés. Par ailleurs, un son très intense, aux environs de 120 dB (le décollage d’un avion à 300 mètres), génère de la douleur et entraîne immédiatement des lésions importantes et irréversibles. |
Sources
- Surdité et déficience auditive : écoute sans risque, Questions & réponses, OMS, 21/03/2025
- Norme mondiale de l’OMS pour une écoute sans risque dans les lieux et les manifestations de divertissement, rapport de l’OMS, 2022
- Ecouter sans risque, rapport de l’OMS, 2015
- Directive relative à l’évaluation et à la gestion du bruit dans l’environnement, de la Commission européenne, 25 juin 2002
- La pollution sonore : un problème d’envergure tant pour la santé humaine que pour l’environnement, Agence européenne pour l’environnement (AEE), 30/03/2020
- Le bruit peut-il nuire à la santé ?, Bruxelles Environnement, 06/11/2024
- Impact du bruit sur la gêne, la qualité de vie et la santé, fiche de Bruxelles Environnement, mars 2018
- Son et Santé, SPF Santé publique, 12/01/2016
- La pollution sonore à l’école, une fatalité ?, analyse de B. Loriers, UFAPEC, mars 2020
- Bruitparif, observatoire du bruit en île de France (plusieurs pages consultées)
- Pollution par le bruit, outil de Question Santé asbl, juin 2007
- Le coût social du bruit en France, rapport de l’Agence de la Transition Ecologique/ADEME, 2021
- Enquête citoyenne sur la perception de l’environnement sonore en Wallonie, Canopea, avril 2022
- Investissons dans l’environnement sonore, analyse de P. Jamar, Canopea, 20/10/2022
- Le bruit, ce son devenu nuisible pour la santé, analyse de P. Jamar, Canopea, 07/10/2021
- Quel pouvoir a le son ?, Les idées larges n°27, ARTE Radio, 24/03/2023
- Bâtir une écologie sonore radicale, Juliette Volcler, dans Socialter, 18/01/2023
- « Protéger les oiseaux, c’est nous protéger nous-mêmes », interview de E. Rousseau et Ph.J. Dubois, et Des bienfaits confirmés par la science, par C. Schaub, dans Libération, 21/03/2025
- Les sons naturels sont bons pour la santé, RTBF Tendance avec AFP, 26/01/2021
- A synthesis of health benefits of natural sounds and their distribution in national parks, article scientifique sous la direction de R. T. Buxton, PNAS, 22 mars 2021