Les incroyables sons du vivant
Juin 2025, par Christophe Dubois
Un article du magazine Symbioses n°144 : Environnement sonore - tendez l'oreille
De la cymbalisation des cigales à l’augmentation de la pollution sonore sous-marine, en passant par les talents d’imitateur de l’oiseau-lyre : une sélection d’infos étonnantes, voire détonantes.
Chanter par les tympans
Les sons évoquent des paysages. Par exemple ceux du Sud de la France, en été, où retentit le chant nuptial de milliers de cigales mâles en recherche d’accouplement. Ces puissants grésillements – qui peuvent atteindre 100 dB, autant qu’un avion, chez une espèce de cigale australienne – s’appellent la « cymbalisation ». Monsieur cigale est en effet doté d’une paire de cymbales qu’il fait vibrer à l’aide de ses costauds abdos. Le ventre vide de l’insecte sert ensuite de caisse de résonance, qui amplifie le son, avant de le laisser sortir par… ses tympans ! (1)
Photo : ©Fatih Körkü - Pexels
47% des espèces vivant sur Terre ne perçoivent aucun son (2). |
Entendre sans oreilles
Quel est l’animal réputé avoir l’ouïe la plus fine du monde ? Une mouche jaune des Etats-Unis (Ormia ochracea). Elle n’a pourtant pas d’oreilles externes de part et d’autre de la tête. Chez les mouches et autres drosophiles, les tympans se situent sur les antennes ; chez les grillons et les sauterelles, ils sont sur les pattes ; et pour les névroptères, sur les ailes. Chez les grenouilles, ce sont la peau et les os qui acheminent les ondes sonores jusqu’à l’oreille interne. Les araignées sauteuses détectent quant à elles les vibrations sonores grâce à des poils sensoriels. Vous n’en croyez pas vos oreilles ? (3)
Photo : ©Pexels - Nastia
Reproduire pour séduire
Le ménure superbe est le meilleur imitateur vocal du règne animal. Cet oiseau-lyre australien à la longue queue élégante reproduit, avec une précision déconcertante, les sons de son environnement : des cris de singe aux pleurs d’un bébé, en passant par une tronçonneuse, l’alarme d’une voiture, le déclenchement d’un appareil photo ou une voix humaine. C’est pour lui une stratégie de séduction. On ne sait jamais, sur un mâle entendu… A écouter ci-contre
Entendre pour voir
Outre le fait d’être les seuls mammifères à savoir vraiment voler, les chauve-souris s’orientent par écholocalisation, comme un sonar vivant. Elles émettent par la gueule (et parfois le museau) des sons très aigus, inaudibles par nous, qui ricochent sur les obstacles et les proies. Chaque écho lui renvoie une image sonore ultra-précise du monde qui l’entoure : distance, mouvement, texture… tout y est. Ce système lui permet de voler et de chasser dans une obscurité totale, avec une précision redoutable. Là où nos yeux peinent, ses oreilles voient.
Photo : ©Vecteezy - Imogen Warren
150 décibels C’est le niveau de bruit généré par un avion à réaction, mais aussi par les poissons Cynoscion othonopterus, en période de reproduction. (6) |
Des mondes sonores inconnus
La perception des environnements sonores varie selon les espèces. L’humain est capable de percevoir, dans le meilleur des cas, les fréquences sonores situées entre 20 hertz (son grave) et 20.000 Hz (son aigu), mais ses capacités diminuent avec l’âge. Nous ne percevons donc pas les ultrasons (> 20.000 Hz), au contraire de nombreuses espèces. Les chats ou les souris peuvent par exemple entendre jusqu’à 79.000 Hz, les dauphins jusqu'à 150.000 Hz et certaines chauves-souris jusqu’à 200.000 Hz (ces dernières n’entendent alors quasiment rien en dessous de 10.000 Hz).
Humains et souris peuvent donc vivre dans la même maison mais dans des univers sonores complètement différents, en ne percevant presque rien de ce que l’autre entend. (5)
Des plantes qui entendent… et qui parlent
Certaines plantes, comme l’onagre de Drummond (fleur jaune qu’on retrouve notamment au sud de la France), peuvent détecter les vibrations sonores produites par les ailes des abeilles. En réponse, elles augmentent la concentration de sucre dans leur nectar.
D’autres, comme la Codariocalyx motorium, une plante du Bengale, dansent lorsqu’elles entendent certains sons – préférant les musiques douces ou classiques au rock’n’roll.
Des recherches menées par l'Université de Tel-Aviv (7) ont même révélé que certains végétaux, comme les plants de tomate et de tabac, émettent des ultrasons lorsqu’ils sont soumis à un stress, comme une déshydratation ou une blessure. Ces sons pourraient être perçus par certains animaux et influencer leur comportement vis-à-vis de la plante.
Crier comme un papillon
Pour beaucoup d’espèces, la production et la perception de sons est une question de survie. Parlez-en aux papillons. Certains sont capables d’entendre la chauve-souris qui les poursuit (lire ci-dessus Entendre pour voir'), et de réagir en se laissant tomber ou en zigzaguant. D’autres émettent des « clics ultra-soniques » pour effrayer leurs prédateurs. Peut-être avez-vous aussi déjà entendu le couinement étrange du papillon nommé sphinx tête-de-mort, dont les vibrations sonores peuvent être entendues à plusieurs dizaines de mètres ?
Enfin, si la drague est une question de survie, citons également le chant du mâle de l’écaille alpine, émis par un petit sac vocal situé sur son thorax. (4)
Nuisances sonores
La vitesse plus que le type de moteur
La circulation routière est de loin la principale source de pollution sonore en Belgique, et plus largement en Europe. La généralisation des véhicules électriques, plus silencieux que les moteurs thermiques, pourrait-elle résoudre le problème ? Uniquement sur les voiries limitées à 30 km/h. Car au-delà de cette vitesse, le bruit généré par le véhicule provient essentiellement du frottement des pneus sur la route. C’est notamment ce qui a motivé le passage de 90% des voiries bruxelloises en zone 30, en plus de l’amélioration de la qualité de l’air et de la sécurité routière. Il faut dire que la majorité des Bruxellois·es sont exposé·es à des niveaux sonores supérieurs à 55 dB, de quoi « gêner sérieusement la population », selon l’OMS.
Le bruit des avions ralentit les apprentissages
En Allemagne, une étude scientifique s’est penchée sur l’impact que pouvait avoir le bruit des avions sur les capacités d’apprentissage dans des classes d’écoles primaires. Ils ont ainsi observé qu’une augmentation de 10 dB était associée à un retard d’un mois dans l'apprentissage de la lecture, et de 2 mois pour une augmentation de 20 dB. Or, la majorité des personnes habitant en périphérie de nos aéroports sont exposées à une « exposition néfaste au bruit » (> 54 dB). Lire le dossier Aviation, climat et santé : il est temps d’atterrir, publié par Canopea en mai 2025). (9)
Photo : ©Vecteezy
Bruyants océans
Selon une étude de l’université de Wageningen publiée en 2023 (8), les océans pourraient devenir 5 fois plus bruyants d’ici la fin du siècle. Depuis la révolution industrielle, les océans sont devenus beaucoup plus bruyants, principalement à cause de l’intensification du transport maritime, de l’exploitation des ressources et du développement d’infrastructures. A cela s’ajoutent les changements climatiques : les modifications de température des océans influent sur la façon dont le son se propage sous l’eau. Et tout cela impacte fortement les animaux marins.
Photo : ©Pexels - Tomfisk
Sources
(1) J. Sueur, Le Son de la Terre, Actes Sud, 2022.
(2) J. Sueur, Histoire naturelle du silence, Actes Sud, 2023.
(3) Est-ce que les insectes entendent, Sciences et Avenir, 2020.
(4) F. Lasserre et G. Macagno, Les super pouvoirs des petites bêtes, Delachaux et Niestlé, 2018.
(5) Champ auditif, Wikipédia.
(6) One of the loudest underwater sounds is made by an animal you wouldn't expect, Science, 2017.
(7) Quand elles sont stressées, les plantes émettent des ultrasons, RTS, 2023.
(8) Predicting the contribution of climate change on North Atlantic underwater sound propagation, revue scientifique PeerJ, 2023.
(9) Aviation, climat et santé, il est temps d’atterrir, Canopea, 2025.