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Dans la peau d’un·e expert·e

Dans la peau d’un·e expert·e

Dans la peau d’un·e expert·e

Décembre 2021, par Christophe Dubois
Un article du magazine Symbioses n°132 : Inondations


Prendre conscience que l’occupation des espaces influence notre vulnérabilité en cas d’aléas naturels. Et que des aménagements publics sont nécessaires, mais pas toujours suffisants. C’est au programme du cours de géo. Et au cœur d’une animation de l’asbl Les découvertes de Comblain. Balade le long de l’Ourthe, sur fond d’inondations.

 


« On va imaginer que vous êtes un groupe d’expert·es, suggère Nicolas Klingler, animateur pour l’association Les découvertes de Comblain. Nous sommes des responsables communaux, et vous allez nous faire des propositions d’aménagements pour solutionner trois problèmes rencontrés ici, à Comblain-au-Pont. » Face à lui, une vingtaine d’élèves de l’Alter Ecole à Clavier (1), de la 3e à la 6e secondaire, venu·es étrenner la toute nouvelle animation Risques naturels et technologiques.

A grand renfort de photos et de coupures de journaux, l’animateur explique les crues fréquentes de l’Ourthe, qui inonde de longue date la rive droite de Comblain. Ou encore les débordements des ruisseaux, en amont, qui provoquent des coulées de boue jusqu’au centre du village. Et enfin, cet énorme égout déversant les eaux usées dans la rivière. « Quelles sont vos solutions ? » Réparti·es en trois sous-groupes, les jeunes parcourent les documents, analysent les courbes de niveaux, dessinent sur les cartes, imaginent, anticipent les difficultés, débattent. Pour finalement présenter LA solution à chaque problème rencontré : « En rive droite, on devrait construire un mur pour remonter la hauteur des berges », propose Cassandra. « Pour récolter les boues, il faudrait creuser un bassin d’orage en amont de la vallée », suggère un autre élève. Quant au troisième groupe : « Pour la pollution, il faut d’abord éduquer les gens et utiliser des toilettes sèches. Puis construire un canal spécifique entre l’égout et une station d’épuration, afin de garder la pollution visible et pouvoir intervenir. » L’animateur le répète : « toutes les idées sont bonnes ». Reste à vérifier sur le terrain ce que la commune a réellement prévu.

La balade des travaux (in)utiles

En ce matin d’octobre, un crachin intermittent a remplacé les pluies diluviennes qui ont inondé la Wallonie l’été passé. Carte IGN en main, une élève guide le groupe vers l’emplacement idéal du bassin d’orage. Surprise ! Un bassin a en effet été construit à cet endroit précis. « Les experts ont pensé à la même solution que vous, souligne Nicolas Klingler, en détaillant le fonctionnement de l’ouvrage. Hélas, ça ne suffit pas, notamment à cause de coupes à blanc faites en amont. » Ensuite, direction la rivière. La jeune Cassandra se rend compte que son idée avait également été retenue par les pouvoirs publics, qui ont construit un mur anti-crue il y a une dizaine d’années. Mais là non plus, ça n’a pas suffi à protéger les maisons de la terrible montée des eaux de juillet dernier. Derrière le mur, on aperçoit les rez-de-chaussée dévastés.

Un peu plus loin, à l’entrée de la future station de pompage, Nicolas explique le système d'épuration et le rôle des bactéries. Mauvaise nouvelle, les inondations ont mis hors service douze stations d’épuration en province de Liège. Les eaux usées retournent à l’état brut dans les rivières. Sur l’autre rive, des grues s’affairent pour renforcer les berges.

« En classe, on avait déjà vu le plan de secteur et les zones inondables. Ça me parle, car j’ai eu un mètre d’eau dans ma cuisine, explique Maxence, capuche sur la tête. Ici, je complète les infos que j’avais déjà récoltées. En fait, je me dis que je devrais peut-être déménager... »

C’est au programme

Pour les élèves et les enseignant·es de l’Alter Ecole, cette demi- journée à Comblain s’inscrit dans une série d’ateliers visant à comprendre « en quoi les changements climatiques et l’aménagement du territoire ont un effet sur les inondations ». Trois fois par semaine durant trois semaines, un duo d’enseignant·es de disciplines différentes explore la question avec les élèves. Aujourd’hui à Comblain, hier à la rencontre d’un climatologue. Ou en classe, en analysant le cas de Trooz à partir des cartes du géoportail de Wallonie. Pour éveiller la curiosité des jeunes, les profs ont appelé ces ateliers « La chaise à papy », en référence à une vidéo virale tournée lors d’inondations en région liégeoise en 2018.

« L’aménagement du territoire, la gestion des risques naturels et technologiques, ainsi que la vulnérabilité de l’homme face aux aléas naturels, font partie du programme de géographie aux 2e et 3e degrés, explique Jean-Christophe Senny, enseignant d’histoire-géo et co-coordinateur de l’école. Avec cette animation dans les rues de Comblain, on voit les liens concrètement, sur le terrain. Par ailleurs, aborder les mesures politiques fait partie de la démarche en géographie mais est plus difficile à traiter en classe. »

Partir des programmes scolaires est une marque de fabrique des découvertes de Comblain. Pour concevoir l’animation, l’association a d’ailleurs travaillé avec des inspecteurs et des enseignant·es. « On part des exigences et besoins scolaires, puis on y met notre touche pédagogique, en s’appuyant sur les richesses du territoire, notre expertise, et sur une problématique d’actualité : les inondations, mais plus largement l’urbanisation, l’influence de l’homme sur la nature et inversement, les risques, les limites de nos aménagements... », confirme l’expérimenté Nicolas Klingler.

Dépasser les limites

Retour dans les locaux de l’association. « On croyait que le mur, le bassin d’orage et la station d’épuration allaient tout résoudre, mais ce n’est pas le cas, constate Nathan. J’habite à Hamoir, et là non plus les murs n’ont servi à rien. Ne trouverions-nous pas d’autres solutions ? » Recouvrir la rivière, creuser son lit, exproprier les maisons pour remonter les terres... Chacun·e y va de sa proposition, mais toutes comportent des problèmes. « Ce sont des sparadraps, il faut penser le problème en amont », suggère Nicolas, en montrant une carte de Ferraris, datant de 1771 (2). Il y a 250 ans, les habitations étaient construites sur les hauteurs, l’Ourthe pouvait dès lors déborder sur les prés de fauche, les sédiments nourrissant la terre.

L’animateur projette en transparence le plan de secteur actuel : « On a dévié et canalisé la rivière. Un immense quartier a été construit en zone inondable. » Aujourd’hui, certaines communes reviennent aux pratiques anciennes, comme à Hotton où des prairies font office de zones inondables. Dans la salle, les élèves poursuivent la réflexion en évoquant la croissance démographique, la vulnérabilité, la résilience. Mais il est bientôt temps de partir. « Je reviendrai bientôt avec les autres classes, promet l’enseignant, conquis. Puis aussi l’année prochaine ».


(1) L’Alter Ecole, située à Clavier, est un projet pilote de la Fédération Wallonie-Bruxelles. Cet établissement scolaire accueille des élèves qui souhaitent apprendre autrement ou qui ne trouvent pas leur place dans le système scolaire. Un merveilleux documentaire y a été consacré, La mauvaise herbe.
(2) accessibles depuis le géoportail de Wallonie

 

Symbioses 132 Inondations

Photo : Christophe Dubois

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