Ouvrir les possibles dans les interstices du monde
Ouvrir les possibles dans les interstices du monde
Septembre 2024, par Marlène Feyereisen et Maëlle Dufrasne, Formatrices chez Écotopie – laboratoire d’écopédagogie
Un article du magazine Symbioses n°141 : Les friches, riche terrain éducatif
Convertir des friches héritées de l’époque industrielle en réserves naturelles, c’est bon pour la biodiversité, et on ne peut que s’en réjouir. Mais ne pourrions-nous pas imaginer que les friches soient bien plus que cela ?
Les friches sont des espaces en attente. Leur fonction industrielle passée est éteinte et leur fonction à venir n’est pas encore déterminée. Pour un temps, elles sont libérées de toute fonctionnalisation et échappent au quadrillage moderne du territoire où chaque parcelle a une fonction et des usages bien déterminés, où seuls certains comportements sont admis.
Par exemple, les parcelles de forêt admettent, sous certaines conditions bien définies, de pratiquer la randonnée, la chasse, le sport, la cueillette, le bûcheronnage ou de protéger et gérer la faune et la flore. En revanche, il n’est pas autorisé de s’éloigner des sentiers ou de poser sa tente pour bivouaquer. Les friches, pour leur part, sont dans un angle mort. Alors que les forêts sont régies notamment par le Code forestier, il n’existe pas de « Code des friches » qui prescrit les usages de ces territoires.
Et si nous faisions de ces espaces situés dans les interstices du monde moderne des opportunités pour explorer, inventer, expérimenter d’autres manières d’habiter le monde ? Et si nous profitions des friches pour sortir des sillons tout tracés des pratiques et des comportements prescrits par les codes et autres règlements ?
Cette idée est largement appuyée par la lecture de l’ouvrage Pour une écologie libertaire, de Damien Darcis. Pour cet auteur, il est risqué d’envisager l’écologie à travers l’extension à l’infini de réserves naturelles, car la création de réserves naturelles n’exige pas de remettre en question le monde moderne – qui peut d’ailleurs très bien s’en passer. De plus, convertir une friche industrielle en réserve naturelle, c’est risquer de la confiner à nouveau dans une seule fonction – ici, la conservation de la biodiversité – et de réduire les autres possibles.
Rompre avec l’opposition humain-nature
Bien sûr, la biodiversité est un enjeu essentiel pour construire un monde soutenable, et il ne s’agit pas ici de dire que nous ne devons pas en prendre soin, au contraire même. Mais si l’on poursuit la réflexion philosophique de Damien Darcis, répondre à cet enjeu de taille nécessite aussi de repenser nos manières d’habiter la Terre et de nous mettre en relation avec le vivant, et de rompre avec l’opposition humain-nature qui fonde notre rapport au monde.
Alors, ne pourrions-nous pas faire des friches des espaces qui ouvrent les possibles et nous permettent d’explorer d’autres manières d’être au monde ? Où l’on pourrait à la fois co-habiter avec une multitude d’espèces ; admirer un paysage mêlant nature, vestiges industriels et constructions alternatives contempo-raines ; organiser des ateliers artistiques et des activités festives ; créer du lien entre les habitant·es du quartier ; construire des cabanes où s’amuser ; s’enraciner dans le terrestre et se connecter au vivant ; donner un cours de cuisine sauvage ; expérimenter des constructions écologiques et low tech ; faire un feu… La liste des possibles est longue, reste à inventer, et dépasse ce qu’il est possible de faire dans les réserves naturelles actuelles, régies par la Loi sur la conservation de la nature. Alors, humains et non humains, allons habiter les friches !
En savoir plus :
- Analyse à paraître sur www.ecotopie.be/publications
- Formation à la demande, organisée par Écotopie : Gestion de la nature : un pas de côté pour la biodiversité
Photo : Supervue 2016
Les friches comme espaces de co-habitation à inventer. Ici, le Supervue, un festival alternatif de musique et d’art qui s’est installé, durant 5 éditions, sur un terril liégeois.