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Article Symbioses

Les friches industrielles, terrain de jeu des sciences participatives

Les friches industrielles, terrain de jeu des sciences participatives

Les friches industrielles, terrain de jeu des sciences participatives

Septembre 2024, par Corentin Crutzen
Un article du magazine Symbioses n°141 : Les friches, riche terrain éducatif


La Wallonie compte 5000 friches industrielles (1), des espaces de nature oubliés. Associant universitaires et naturalistes bénévoles, le projet FrichNat vise à fournir une image objective de la biodiversité présente sur ces friches.

 


Lundi 29 avril, sous un beau soleil de printemps. L’arrivée d’une équipe d’uni-versitaires, de naturalistes bénévoles et d’une dizaine de journalistes sur le site de l’ancien charbonnage de Monceau Fontaine, à Courcelles, suscite la curiosité et quelques inquiétudes auprès du voisinage. Un homme d’un certain âge s’approche, demandant s’il va y avoir un projet sur cet espace vert situé en face de sa maison. « Nous sommes juste là pour observer la nature », le rassure Grégory Mahy, professeur à l’ULiège (lire ici, p.9) et l’un des pilotes du projet FrichNat présenté à la presse ce matin-là. De fil en aiguille, le riverain, habitant cette rue depuis toujours, en vient à apporter des photos des environs, prises depuis sa maison il y a 40 ans, nous plongeant ainsi dans les paysages du passé industriel de la région.

Depuis l’arrêt des activités de charbonnage du bassin minier wallon, de nombreux sites comme celui-ci ont vu la nature se redéployer librement. Quel intérêt ont-ils en termes de biodiversité à l’échelle de la Région wallonne ? C’est ce à quoi tente de répondre ce projet.

Une biodiversité méconnue

L’un des deux volets de FrichNat, projet financé dans le cadre du Plan de relance wallon, consiste à réaliser un état des lieux de la connaissance de la biodiversité des friches industrielles en Région wallonne, en compilant et analysant les bases des données existantes. Les chercheurs et chercheuses de l’ULiège ont identifié 434 sites dans les agglomérations de Liège, Charleroi et Mons. « Pour plus d’un tiers d’entre elles, nous n’avons aucune donnée », pointe Benjamin Cornier, coordinateur du projet à l’ULiège. « Ces friches représentent plus de 4000 hectares de terrains méconnus, peu attrayants et faisant souvent référence à des zones délabrées. Elles gardent une connotation négative dans l’esprit des gens et sont donc moins prisées, ce qui rend le projet FrichNat d’autant plus pertinent », poursuit-il.

Pourtant, celles-ci regorgent d’une grande richesse en biodiversité ! Sur les friches étudiées, quelque 2300 espèces animales et 1000 espèces végétales ont été observées. Une biodiversité remarquable s’y est développée : dans 85% d’entre elles, au moins une espèce animale protégée a été inventoriée et la moitié abrite au moins une espèce végétale protégée (2). Ces espaces enfrichés constituent dès lors des sanctuaires de redéploiement de la nature. De quoi nourrir le débat sur le devenir de ces sites, que certains voient avant tout comme des espaces à réaffecter (activité économique, logement…).

Participation (éco-)citoyenne

Le deuxième volet du projet consiste à inventorier, sur 31 friches, 5 groupes d’espèces peu étudiés : reptiles, punaises, orthoptères, araignées et lichens. Cet inventaire participatif a été réalisé de mai 2023 à juin 2024 par environ 80 citoyen·nes bénévoles.

Ce lundi matin, Martin Windels, membre bénévole des Cercles des Naturalistes de Belgique (CNB), parcourt les hautes herbes de l’ancien charbonnage à la recherche de punaises. Battage, fauchage, tamisage… : des protocoles précis ont été co-construits par les bénévoles, l’équipe de l’ULiège et les écopédagogues des CNB. « C’est la première fois en Région wallonne qu’il y a une logique d’association d’experts et de citoyens pour mettre en place des méthodes d’inventaire qui permettent de récolter des données de manière structurée », se réjouit Géraldine de Montpellier, coordinatrice des volontaires aux CNB. Près de 200 bénévoles ont été formé·es, durant une journée, aux protocoles, aux encodages et à l’identification des espèces, pour pouvoir ensuite collecter des données en toute autonomie sur les friches sélectionnées. « Une journée de formation, c’est court ! C’est pourquoi nous avions besoin de personnes ayant déjà certaines compétences naturalistes et non des personnes complètement amateures. » C’est donc parmi les 5000 membres des CNB ainsi qu’auprès d’autres associations telles que Natagora, Éducation Environnement ou Charleroi Nature qu’un appel a été lancé pour participer à l’inventaire.

« Les sciences participatives, c’est mon dada ! », affirme Martin Windels. « Ce qui me plaît, dans ce projet, c’est la richesse des échanges, qui permettent de créer du lien et ne pas rester un naturaliste dans son coin et dans sa discipline. En plus, j’ai découvert de  nouveaux milieux. Des friches industrielles, je n’en ai pas dans la région où j’habite. Je découvre une nature où la main de l’humain a eu peu d’impact sur les dernières dizaines d’années, et c’est intéressant. » Entre émerveillement et envie d’apprendre, les naturalistes bénévoles prennent plaisir au recensement tout en apportant leur pierre à l’édifice.

« C’est valorisant de savoir que les données qu’on récolte vont servir pour cette étude. On fait quelque chose de concret pour la nature », confie Dominique De Coster, ingénieur agronome à la retraite.

Des ambassadeurs de nature

FrichNat a aussi pour effet d’engendrer des « ambassadeurs » des friches auprès du grand public. « Grâce à ce qu’ils ont appris dans ce projet, les bénévoles impliqués vont sensibiliser les gens autour d’eux à propos des friches dans leur quartier, leur ville, leur région », explique Géraldine de Montpellier. Et Martin Windels de renchérir : « Maintenant que j’ai appris comment faire un recensement, j’aimerais pouvoir mettre en place ce genre d’activité dans ma commune. »

Le projet FrichNat va d’ailleurs aboutir à la construction d’un guide méthodologique (3) pour la réalisation d’inven-taires biologiques participatifs avec des citoyen·nes. Une manière concrète et ludique de sensibiliser la population à la préservation de la nature.

« Avec 4000 hectares de friches sur les 3 agglomérations étudiées, on a la place pour faire cohabiter le redé-ploiement socio-économique et la biodiversité, en laissant des zones de nature accessibles, car il y a un enjeu majeur de connexion de la population avec la nature en milieu urbain », souligne Grégory Mahy. Espérons que ce projet, au-delà de son impact citoyen, permettra une meilleure considération de la biodiversité dans le cadre de projets urbanistiques.


 (1) Ecosol
(2) Pour plus d’informations sur les résultats provisoires du projet
(3) Le guide sera accessible à partir de novembre 2024 sur https://orbi.uliege.be/

 

Symbioses 141

Photos : ©Corentin Crutzen
Des bénévoles cherchent et identifient des punaises, à l’aide de toiles de battage et de loupes
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Sauvons la friche Josaphat
Sauvons le marais Wiels

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