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Article Symbioses

Le tour du monde en 80 fringues

Le tour du monde en 80 fringues

Le tour du monde en 80 fringues

Octobre 2025, un article de Catherine Demonty, animatrice et coordinatrice du CRIE de Saint-Hubert
Un article du magazine Symbioses n°145 : Fast fashion : un modèle à détricoter

Nos vêtements en disent beaucoup sur nous, et illustrent les enjeux complexes de l’économie mondialisée. La Croix-Rouge Jeunesse de Belgique et le CRIE de Saint-Hubert ont créé un projet sur ce thème, avec un regard interculturel et intergénérationnel et via une grande diversité d’approches.


©CRIE de Saint-Hubert

Photo ©

Qu’ont en commun Martin (3 ans), Patience (14 ans), Mohammed (23 ans), Julie (40 ans) et Odette (72 ans) ? Tous et toutes ont besoin de vêtements, mais les rapports qu’ils et elles entretiennent avec ceux-ci sont différents. Entre deuxième peau purement fonctionnelle ou étendard de notre mode de vie et de notre personnalité, nos fringues en disent beaucoup sur nous. Les vêtements sont aussi un exemple des enjeux complexes d’une économie mondialisée. La Croix-Rouge Jeunesse de Belgique et le Centre Régional d’Initiation à l’Environnement de Saint-Hubert se sont associés autour de cette thématique textile pour confectionner un vaste projet (1), au printemps 2025 : Le tour du monde en 80 fringues.

Réflexion critique et créativité

Outre leur côté pratique, pour cacher notre nudité et nous garder au chaud et au sec, nos vêtements catalysent beaucoup d’autres enjeux. Vecteurs d’expression de soi, d’appartenance à un groupe, parfois aussi cibles de stéréotypes et de jugements de valeur… Cette dimension psycho-sociale est particulièrement prégnante dans un contexte d’adolescence et/ou de parcours migratoire.

Par ailleurs, des matières premières qui les composent à leur fin de vie, en passant par leur confection, leur transport et leur vente, nos vêtements parcourent d’incroyables distances. A chaque étape de ce trajet, on peut s’interroger sur leurs multiples impacts, et découvrir les dessous cachés et peu reluisants du modèle prédominant de la fast fashion.

Partant de ces constats, les deux partenaires se sont appuyés sur leurs compétences respectives (secteur de la seconde main et accueil des demandeurs d’asile pour la Croix-Rouge, pédagogie et réflexion sur nos modes de consommation et leurs impacts sur l’environnement, les conditions de travail et la santé pour le CRIE, travail avec la jeunesse pour les deux) pour développer ensemble le projet. Avec en tête trois objectifs :

  • inviter les jeunes et le grand public à s’ouvrir à la différence, dans le cadre d’une activité de groupe multiculturelle autour d’un thème se prêtant bien au dialogue interculturel ;
  • développer une compréhension des enjeux socio-économiques et environnementaux qui se cachent derrière le secteur de l’habillement (liens entre le global et le local) ainsi qu’une réflexion critique sur la société de consommation ;
  • développer la créativité des participant·es et renforcer leurs capacités d’expression et d’action.

Plongée dans nos garde-robes

Le point de départ de chaque activité réalisée dans le cadre du projet ? L’expérience des participant·es et leur relation personnelle à leurs vêtements ! Il y a les enfants, qui prennent deux tailles par an, ceux qui usent leur short fétiche jusqu’à la corde, les fashionistas, qui ont perdu le compte de leurs robes, les pragmatiques, pour qui le confort et la résistance sont les seuls critères de choix, celles et ceux pour qui la seconde main est un art de vivre, d’autres pour qui elle est la seule option au vu d’un budget limité… Et, entre ces profils stéréotypés, une multitude de réalités.

Plonger dans notre garde-robe est quelque chose d’intime, objectiver notre consommation peut nous remuer et nous confronter à nos choix, nos contraintes, nos incohérences parfois. Le cadre d’ateliers de groupe doit donc être clairement posé dès le départ : confidentialité, bienveillance et non-jugement sont des clés pour pouvoir échanger sereinement et avancer ensemble vers l’un ou l’autre « petit pas » au quotidien pour une consommation plus « slow ». La prise de conscience et la sensibilisation sont une première étape nécessaire pour passer de consommateur ou consommatrice à consomm’acteur ou consomm’actrice, à son rythme et selon ses possibilités. Pour ce faire, on peut jouer sur différents tableaux : acheter moins, acheter mieux et faire durer nos vêtements.

Patchwork d’activités

La première étape du projet s’est déroulée en province de Luxembourg. La Maison de la Culture d’Arlon et l’Espace Culturel de Hotton ont accueilli les participant·es pour deux journées ludiques et créatives. Elles ont rassemblé environ 40 personnes : grand public et résidentes de centres d’accueil pour demandeurs de protection internationale.

Une première matinée d’échanges a été consacrée, au départ d’un photolangage, au trajet de nos vêtements, à leurs impacts environnementaux et sociaux, et notamment à la découverte du quotidien pénible des travailleurs et travailleuses du textile. Au passage, les échanges ont permis d’aborder les vécus et traditions vestimentaires des un·es et des autres – venu·es de différents pays – mais aussi de constater la perte de certains savoir-faire (par exemple : le métier de tailleur) et la globalisation de la mode. La matinée a également été l’occasion, pour chacun·e, d’interroger sa consommation de vêtements et les moyens de la réduire. Comme en témoigne Juliette, une participante : « Une des choses que j’ai retenues de cet atelier, c’est la méthode BISOU (2) ! Je me poserai ces questions les prochaines fois que j’irai faire les magasins ! »

Ensuite, les participant·es ont pu s’initier à la customisation de tote bags, à l’impression sur t-shirts, au tissage, ou encore à la création d’éponges à partir de vieilles chaussettes et de broches-fleurs en jeans recyclés. Ces activités ont permis d’allier apprentissages, créativité, partage de compétences et échanges interculturels et intergénérationnels. « J’ai particulièrement apprécié la diversité du groupe, c’était riche d’avoir des personnes de tous les âges et différentes nationalités ! », nous a ainsi confié Anne-Sophie.

Un stage résidentiel pour tisser des liens

En avril, le projet s’est recentré sur la jeunesse, avec un stage d’un week-end à Namur pour une quinzaine de participant·es de 15 à 22 ans – une moitié de Belges et une moitié de demandeurs d’asile, de différentes nationalités. Le format résidentiel a favorisé la cohésion et les échanges en mêlant moments d’information, réflexions collectives et activités pratiques ; il a aussi permis de développer davantage l’axe créatif. Les jeunes ont eu l’opportunité de réparer ou customiser des vêtements qu’ils et elles avaient apportés, et de confectionner des créations personnelles simples (trousses, bobs, bananes, etc.) à partir de vieux textiles. Des volontaires des Vestiboutiques (lire encadré ci-dessous) ont apporté leur expertise lors d’ateliers de broderie, couture, crochet et tricot, favorisant un partage intergénérationnel et la découverte de techniques pour donner une seconde vie aux vêtements.

Moment fort du week-end : le challenge en groupes, qui a fait parcourir aux jeunes le Chemin de la seconde main (3) de Namur, pour composer une tenue complète (chapeau, veste, blouse, pantalon et chaussures) avec un budget de maximum 25 €. Réparti·es en cinq sous-groupes, les jeunes sont parti·es en ville pour réaliser un micro-trottoir auprès des habitant·es, en leur expliquant le projet et en les interrogeant sur leur consommation textile. Dans les magasins de seconde main, ils et elles ont questionné les vendeurs et vendeuses et les client·es, afin de mieux comprendre le modèle économique de ces boutiques et les motivations des acheteurs et acheteuses. Les pièces chinées lors du challenge ont ensuite été customisées (broderie, impression, etc.) par les jeunes.

La tenue, mise aux enchères à la Vestiboutique de Liège, accompagnée d’affiches de sensibilisation conçues par ces mêmes jeunes, a permis de récolter 70 € au profit de la Croix-Rouge.

A l’issue du stage, les jeunes ont exprimé leur satisfaction à différents égards. « Le stage m’a paru super court ! On a beaucoup appris, c’était à la fois informatif, participatif, ludique, et très pratique. J’ai découvert le fonctionnement de la machine à coudre et c’était plus facile que je le pensais. Ma créativité était cachée, ici elle a pu s’exprimer ! » (Lucie). « On a vu tout l’envers du décor, ce qui se passe dans la production de masse. Je ne m’imaginais pas que c’était à ce point-là. » (Hamza) « J’ai découvert qu’on pouvait trouver son bonheur dans les magasins de seconde main, alors que je n’y serais jamais entré spontanément. » (Amadou)

Un spectacle mêlant humour et réflexion

Dernière étape du projet : une conclusion festive au Centre d’accueil de Natoye, qui a vibré au rythme de la pièce de théâtre C’est pas cousu d’avance de la compagnie Histoires publiques (voir notre sélection d'adresses utiles). Plus de 70 personnes – résident·es du centre, ainsi que le grand public – se sont réunies pour découvrir ce spectacle mêlant humour, émotion et réflexion autour d’une succession de tableaux mettant en scène différents personnages et les coulisses du secteur textile.

Au vu du succès et des retours très enthousiastes des participant·es, d’autres déclinaisons de cette collaboration verront certainement le jour dans les prochains mois. Suite à ce premier projet, la Croix-Rouge Jeunesse a notamment enrichi sa fiche projet pédagogique intitulée « Acheter, en fripes, c’est stylé ! ». (4)


(1) Dans le cadre de l’appel Promotion de la Citoyenneté et de l’Interculturalité de la FWB.
(2) La méthode BISOU est un pense-bête de 5 questions à se poser avant de passer à l’achat.
(3)  Le chemin de la seconde main à Namur (pdf)
(4) Cette ressource fait partie du programme Bouge avec la Croix-Rouge, destiné aux enseignant·es, animateur·ices et éducateur·ices. 


Le textile comme fil conducteur

Le projet Le tour du monde en 80 fringues s’est nourri de deux années d’expériences au CRIE de Saint-Hubert : 
- Accueil d’un Slow Fashion Day en 2023 dans le cadre d’un festival local, et stage avec la Maison des Jeunes de Saint-Hubert pour préparer cet événement.
- Animations scolaires en partenariat avec plusieurs centres culturels, autour des pièces de théâtre C’est pas cousu d’avance et Fast.
- Ateliers dans le cadre de projets jeunesse Erasmus+, axés sur nos modes de consommation.

 

90 Vestiboutiques

La slow fashion, la consommation responsable, la réutilisation et la transformation des vêtements sont autant de sujets directement liés au travail quotidien des Vestiboutiques de la Croix-Rouge. Ces magasins de vêtements de seconde main sont au nombre de 90 en Wallonie et à Bruxelles (voir ici). Cette économie solidaire est à la fois respectueuse de l’environnement et socialement utile, car les vêtements qui y sont revendus permettent de financer d’autres projets, comme la distribution de colis d’aide alimentaire.

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